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Rhin, beaucoup de revenus et d’influence. Mais cela ne leur suffit pas. Plus d’une association religieuse aurait pu rivaliser avec eux sous le rapport de l’étendue de ses propriétés foncières; aucune ne fut en mesure de les égaler quand ils se furent faits les banquiers de la chrétienté. L’ordre avait toujours eu des tendances pratiques et positives : les templiers furent, dès l’origine, en même temps que des soldats, d’excellens administrateurs, plus occupés, dans leurs commanderies d’Occident, d’économie domaniale que de raffinemens théologiques; quand les officiers de Philippe le Bel visitèrent leurs maisons, après la confiscation de leurs biens, ils y trouvèrent plus de « cartulaires « et de livres de comptes que de traités sur le dogme. Les couvens de l’ordre étaient d’ailleurs des édifices religieux, inviolables, construits comme des forteresses, toutes circonstances très favorables à leur transformation en banques de dépôt. Cela explique la confiance que les « Temples » d’Europe et d’Asie inspirèrent de bonne heure aux capitalistes. Les rois, les princes et même les marchands prirent très tôt l’habitude de considérer les trésors des templiers comme des caisses où ils pouvaient avec sécurité consigner en compte courant des fonds considérables. Les chevaliers, de leur côté, furent amenés à faire valoir l’argent des déposans au lieu de l’immobiliser dans des coffres. Ils ouvrirent des crédits aux personnes solvables, se chargèrent de transporter de grosses sommes d’une ville à l’autre, d’une place commerciale à une autre place, soit matériellement, par des convois bien escortés, soit au moyen de correspondances et de jeux d’écritures entre leurs « maisons » des divers pays. Ils firent ainsi la plus heureuse concurrence, comme hommes d’affaires et manieurs de capitaux, aux juifs et aux Lombards.

Le bon renom de leur comptabilité leur permit bientôt d’étendre le champ de leur activité financière et de diriger, pour le compte des rois, des princes et des grands barons, leurs cliens, les opérations de trésorerie les plus compliquées. Au XIIIe siècle, les « Temples » de Paris et de Londres, — immenses domaines enclos et fortifiés, qui ont laissé leur nom à des quartiers situés aujourd’hui au cœur de ces capitales, — étaient des établissemens publics de crédit. C’était aux templiers que les papes confiaient presque toujours le soin de recevoir, de garder et de délivrer aux porteurs de chèques les sommes levées au profit de saint Pierre ou pour les préparatifs de croisade. Les templiers de Paris furent les banquiers de Blanche de Castille, d’Alphonse de Poitiers, de Robert d’Artois et d’une foule d’autres personnages, qui trouvèrent avantage à se décharger sur eux du souci de l’administration de leurs biens. Jean sans Terre et Henri III faisaient verser au Temple de Londres le