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une dénonciation contre le Temple, librement écrite jadis par ce même Ponsard de Gisi : « Je l’avoue, dit le coupable, j’ai écrit cette cédule, mais c’était pour être admis en présence du pape et de la commission. Je l’ai écrite, du reste, dans un jour de trouble contre l’ordre, un jour que le trésorier du Temple m’avait injurié. » Il s’écria en s’en allant : « Je crains bien que l’on ne m’aggrave ma prison, parce que je veux défendre l’ordre. »

Des centaines de templiers prirent la même attitude que celui-ci, mais d’une manière encore plus virile et la plupart du temps sans phrases : « Je veux défendre l’ordre ; je n’y sais rien de mal. » Le 28 mars 1310, 546 templiers casernes à Paris étaient défenseurs de l’ordre. La commission, pour obtenir d’eux une constitution de procureurs, envoya ses notaires, à partir du 31 mars, dans chacune des maisons où ils étaient enfermés : chez Guillaume de la Huche, rue du Marché-Palu, au Temple, au palais du comte de Savoie, à l’abbaye de Sainte-Geneviève, à l’abbaye de Saint-Magloire, etc. Presque tous les prisonniers, au rapport de ces notaires, demandèrent à genoux à être admis aux sacremens, à être nourris, vêtus plus convenablement. Tous affirmèrent de nouveau avec force l’innocence de l’ordre. Plusieurs remirent aux scribes de la commission de longues suppliques, personnelles, collectives. Rien de plus attendrissant que ces productions en mauvais latin ou en patois, fleurs écloses sous de rudes et maladroites mains. Frère Élie Aimeri, l’un des templiers emprisonnés à Sainte-Geneviève, confia aux notaires, en les priant de corriger ses barbarismes, une interminable homélie qui commence ainsi : « O Marie, étoile de la mer, conduis-nous au port du salut... » morceaux de bréviaires et de litanies qui étaient remontés, aux heures d’angoisse, à la surface de la mémoire du pauvre homme. La cédule présentée par Jean de Monréal aux commissaires, le 3 avril, au nom d’un grand nombre de ses frères, mérite d’être lue; c’est un plaidoyer où les accusés manifestent leur désarroi par la plus bizarre accumulation de bons argumens et d’argumens puérils : « Dans les églises du Temple, le plus grand autel était celui de Notre-Dame;., les templiers faisaient de très belles processions aux grandes fêtes ;.. notre sire le roi de France et d’autres rois ont eu des templiers comme trésoriers et comme aumôniers ; les auraient-ils choisis si le Temple avait été coupable?.. Les épines de la couronne du Sauveur, qui fleurissent le vendredi-saint entre les mains des frères chapelains du Temple, ne fleuriraient pas si ces frères étaient coupables... Il est mort plus de 20,000 frères pour la foi de Dieu outre-mer… Nous sommes prêts à combattre tous les adversaires du Temple, excepté les gens de N. S. le roi et de N. S. le pape. » — Citons