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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/431

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ou de conduire de Mme d’Ayen. Elle croyait n’avoir rien fait quand elle n’avait pas convaincu l’enfant à qui elle parlait, et elle écoutait tous les raisonnemens de ses filles avec une bonté persévérante. Il en résultait peut-être quelques inconvéniens, comme le manque de docilité. « Cela peut bien être, maman, lui répondait un jour Adrienne, celle qui fut Mme de La Fayette, parce que vous nous permettez les raisonnemens et les objections; mais vous verrez qu’à quinze ans nous serons plus dociles que les autres. »

On leur enseignait d’abord le petit catéchisme de Fleury, puis le grand catéchisme du même auteur, ensuite l’Évangile. Les lectures étaient l’Ancien-Testament abrégé de Mesenguy, le Magasin des enfans, les Elémens de géographie, l’Histoire ancienne de Rollin. La conversation était un important moyen d’éducation. Mme d’Ayen lisait aussi avec ses filles et leur faisait lire les plus beaux morceaux de la poésie française, les plus belles pièces de Corneille, de Racine et de Voltaire. Elle leur apprenait à dicter des lettres, même avant qu’elles sussent elles-mêmes écrire.

Pauline, Mlle de Maintenon, celle qui fut Mme de Montagu, raconte dans ses mémoires qu’à trois heures, tous les jours, leur mère dînait avec elles et les emmenait, après le repas, dans sa chambre à coucher. La duchesse s’asseyait dans une bergère, près de la cheminée, ayant sous la main sa tabatière, ses livres, ses aiguilles. Ses cinq filles se groupaient alors autour d’elle : les plus grandes sur des chaises, les plus petites sur des tabourets, se disputant doucement à qui serait le plus près de la bergère. Tout en chiffonnant, on causait des leçons de la veille et des petits événemens du jour. Cela n’avait pas l’air d’une leçon, et à la fin c’en était une, et de celles qu’on retenait le mieux. On comparait la duchesse d’Ayen pour le tour d’esprit, l’élévation des sentimens, la force d’âme, à la mère Angélique de Port-Royal, si la mère Angélique eût vécu dans le monde.

Cette méthode d’éducation avait développé chez Adrienne l’habitude de tout discuter. Elle saisissait toujours les difficultés et voulait les approfondir. « Elle fut, dans sa jeunesse, fort troublée par ses doutes sur la religion. Ses inquiétudes étaient loin de la détourner des pratiques de piété; au contraire, le désir de connaître la vérité animait sa ferveur. Elle éprouvait un tel tourment de ses incertitudes, qu’elle l’a depuis comparé aux plus grandes peines qu’elle ait ressenties dans une vie si remplie de douleurs et d’anxiétés. Cette disposition commença vers l’âge de douze ans et dura plusieurs années. On la préparait alors à sa première communion; mais son caractère si sincère ne lui permettait pas d’approcher de Jésus-Christ avec une foi chancelante. »

Mme la duchesse d’Ayen jugeait ces troubles, et ils ne lui déplaisaient