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coupables, se, trouvant au coucher du roi, s’approcha d’un de ses amis, fit le récit d’une de leurs folles séances et prit soin de rire avec une indiscrétion qui le fit remarquer de Louis XVI. Venant alors au comte de Ségur, il lui demanda le sujet de cette bruyante gaîté. Après s’être défendu quelques momens de pouvoir en avouer tout haut le motif, le roi lui dit de le suivre, et, s’approchant d’une fenêtre, il se fit conter tout ce qui s’était passé dans une des séances pseudo-parlementaires. Ségur donna à son récit la forme, la couleur, l’esprit, qui pouvaient le rendre amusant. Louis XVI l’écouta et rit beaucoup. Le lendemain, au moment où Maurepas tentait de provoquer contre la jeune cour les sévérités royales et s’efforçait de grandir les conséquences d’un travestissement qui, disait-il, livrait au ridicule la dignité du parlement : «Cela suffit répondit le roi, on y songera pour l’avenir; mais, pour le présent, il n’y a rien à faire, car je suis presque moi-même au nombre des coupables[1]. »

Ainsi se passa la première année du mariage de La Fayette. On peut le croire, quand il écrit qu’il ne se plia jamais aux grâces de la cour. Il donna, du reste, en ce temps-là, une preuve éclatante de ses goûts modestes et de sa volonté en ne balançant pas à déplaire à ses nouveaux parens pour sauvegarder son indépendance. Il s’agissait d’un titre dans la maison du comte de Provence. Le maréchal de Noailles désirait cet arrangement. Pour l’empêcher sans résister à ceux qu’il aimait, La Fayette fit en sorte de mécontenter par un mot le prince, à la personne duquel on voulait l’attacher! Toute négociation fut à jamais rompue. On sentait déjà dans l’air les effluves de 1789.

Une vie de dissipation n’était pas non plus de l’éducation de Mme de La Fayette. Elle était obligée d’aller, ainsi que sa sœur, la vicomtesse de Noailles, au spectacle et au bal de la cour. Mais jamais, même dans sa plus grande jeunesse, elle n’avait cru pouvoir goûter un seul des amusemens du monde sans quelque motif de devoir : « Elle ne s’y décidait pas légèrement; mais, après cela, elle s’y livrait franchement et sans scrupule. » Son sentiment pour son mari était au-dessus de toutes ses autres affections ; et ce sentiment, au dire de Mme de Lasteyrie, s’accordait avec une délicatesse qui l’éloignait de toute espèce de jalousie, « ou du moins des mauvais mouvemens qui en sont d’ordinaire la suite. »

Ses doutes sur la religion, qui avaient violemment agité sa conscience, s’étaient dissipés. En pleine connaissance d’elle-même, elle fit sa première communion le dimanche de Quasimodo qui suivit l’hiver de 1776. Elle devint grosse cette même année et mit au

  1. Mémoires de ma main, p. 8.