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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/450

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sur des neufs; d’ailleurs, ils ont eu le plaisir de tuer beaucoup, mais beaucoup plus de monde aux ennemis qu’ils n’en ont perdu. » Après cela, on ajoutera : « C’est fort bien, mais Philadelphie est prise, la capitale de l’Amérique, le boulevard de la liberté ! » — Vous repartirez poliment : «Vous êtes des imbéciles. Philadelphie est une triste ville, ouverte de tous côtés, dont le port était déjà fermé, que la résidence du congrès a rendu fameuse, je ne sais pourquoi. Voilà ce que c’est que cette fameuse ville, laquelle, par parenthèse, nous leur ferons bien rendre tôt ou tard. » S’ils continuent à vous pousser de questions, vous les enverrez promener en termes que vous dira le vicomte de Noailles, parce que je ne veux pas perdre le temps de vous écrire à vous parler politique...

« Soyez tranquille sur le soin de ma blessure, tous les docteurs de l’Amérique sont en l’air pour moi. J’ai un ami qui leur a parlé de façon à ce que je sois bien soigné, c’est le général Washington. Cet homme respectable dont j’admirais les talens, les vertus, que je vénère à mesure que je le connais davantage, a bien voulu être mon ami intime...

« Tous les étrangers employés ici sont mécontens, se plaignent, sont détestans et détestés. Moi, je ne comprends pas comment ils y sont si haïs. Pour ma part, moi qui suis un bonhomme, je suis assez heureux pour être aimé par tout le monde!..

« Je suis à présent dans la solitude de Bethléem dont l’abbé Raynal par le tant. Cet établissement est vraiment touchant et fort intéressant...

« Nous causerons de tout cela à mon retour, et je compte bien ennuyer les gens que j’aime, car vous savez que je suis un bavard. Soyez-le, je vous en prie, mon cher cœur, dans tout ce que vous direz pour moi à Henriette, ma pauvre petite Henriette ! Embrassez-la mille fois! Parlez-lui de moi! Mais ne lui dites pas tout le mal que je mérite, ma punition sera de ne pas être reconnu par elle en arrivant. A-t-elle une sœur ou un frère ? Le choix m’est égal, pourvu que j’aie une seconde fois le plaisir d’être père et que je l’apprenne bientôt. Si j’ai un fils, je lui dirai de bien connaître son cœur, et s’il a un cœur tendre, s’il a une femme qu’il aime, comme je vous aime, alors je l’avertirai de ne pas se livrer à un enthousiasme qui l’éloigne de l’objet de son sentiment...

« Mille tendresses à mes sœurs. Je leur permets de me mépriser comme un infâme déserteur, mais il faut qu’elles m’aiment en même temps. Mes respects à Mme la comtesse Auguste et à Mme de Fronsac. Si la lettre de mon grand-père ne lui parvient pas, présentez-lui mes tendres hommages. Adieu, mon cher cœur ! Aimez-moi toujours! Je vous aime si tendrement.