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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/476

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détails les plus intimes de l’organisation du travail industriel. À l’heure qu’il est et depuis quelques mois déjà, elle a sa grande commission des douanes. Assurément, la chambre a le droit de faire ses enquêtes, de s’occuper des conditions du commerce national. On ne peut cependant se dissimuler le danger de cette omnipotence d’une commission, qui, sous prétexte de remanier des tarifs, touche à toute la diplomatie commerciale de la France, sans se préoccuper des conséquences que peut avoir pour la production française dans le monde entier une dénonciation sommaire de tous les traités de commerce. Au fond, c’est une usurpation parlementaire de la chambre sous toutes les formes. Que reste-t-il au sénat ? Oh ! sûrement, on est prêt à relever et à exalter le sénat quand il rend le service d’exécuter le boulangisme. Le lendemain, on le ramène à son rôle plus que modeste. On lui donne ses huit jours pour voter le budget et s’il fait quelque difficulté, on l’accuse de provoquer des conflits. On lui envoie une loi comme cette récente loi des syndicats qui serait le bouleversement de l’industrie française, et s’il hésite, on menace de le supprimer. Le sénat est un grand corps qui a l’avantage des lumières, de l’expérience, de l’éloquence, et le malheur de ne rien décider. On lui a même signifié un jour qu’il ne comptait pas dans la politique.

Entre les deux assemblées vivant dans des conditions si inégales, le gouvernement reste perplexe. Nous ne parlons pas de M. le président de la république qui, assurément, pour sa part, garde toujours le décorum de sa magistrature et fait avec autant de conscience que de bonne grâce les honneurs de la France en se renfermant dans une dignité impartiale et désintéressée. Le gouvernement lui-même, le ministère, quel qu’il soit, se résigne à subir le rôle effacé qu’on lui fait. Il a les attributions officielles de l’exécutif, il n’en a ni l’autorité morale, ni l’initiative. Il cède devant les commissions et devant la chambre, M. le ministre des finances en sait quelque chose depuis la dernière discussion du budget ; il cède devant une interpellation un peu pressante. Il craindrait de se compromettre par l’expression d’une opinion résolue, d’une volonté. Il n’est pas le gouvernement, il est aux affaires le gérant d’une majorité qui lui impose ses passions et se croit tout permis sans savoir toujours ce qu’elle veut. De telle façon que des trois pouvoirs, l’un dépasse sans cesse ses droits, l’autre ne va pas même jusqu’à la limite de ceux qui lui restent, le troisième n’exerce pas du tout les siens. Et voilà comment tout reste assez vague, rien ne se fonde, même avec des succès de scrutin en apparence décisifs ! Il y a longtemps déjà qu’un homme illustre, M. Guizot, a dit que lorsqu’on était sorti de l’ordre, le progrès était d’y rentrer. Le progrès serait aujourd’hui de revenir enfin aux conditions d’un vrai gouvernement parlementaire, d’un régime sensé, réparateur, prévoyant pour tous les intérêts, pacificateur des esprits, — et ce serait, avec l’année nouvelle,