d’audace pour entreprendre et assez de volonté pour accomplir la traversée du Pamir, au cœur de l’hiver. Dans le héros qu’un ministre avait salué du titre de « conquérant, » je voyais le digne successeur des Ruysbruk, des Van den Putte, des Marco Polo, des Huc.
Une heure d’entretien avec lui suffit à me confirmer dans l’opinion que je m’étais faite à la lecture de son récit. Je retrouvais la force et la décision qui font un vrai voyageur, la franchise et le cœur qui font un bon compagnon. J’avais dès lors en lui une confiance aveugle ; j’étais résolu à le suivre partout. Le voyage était décidé.
Cartes à consulter, notes à réunir, appareils à faire construire, vêtemens et chaussures à commander, mille petits détails qui semblent insignifians, mais desquels dépend le succès d’une telle expédition, eurent vite rempli les deux mois que nous nous étions donnés pour faire nos préparatifs. Il fallait pourtant se presser. Nous apercevions l’hiver au bout de l’année, et quelques jours de plus ou de moins pouvaient changer toutes les conditions de notre voyage.
Enfin, le 6 juillet 1889, nous montions dans l’express pour Moscou ; nous promettions de revenir bientôt, nous n’allions qu’en Chine. Il est vrai que la Chine est grande et qu’il y a bien de l’espace pour s’y promener.
Savions-nous ce qui nous était réservé ? — Nous préférions nous taire. « Ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir, » me disait Bonvalot.
Et lorsqu’il déployait la carte du Céleste-Empire, il me montrait la Mongolie et les routes qui mènent à Pékin ; mais je voyais son regard descendre plus bas, errer du côté du Lob-Nor, et même s’arrêter sur les solitudes du Thibet. Voir l’empire du Grand-Lama, le pays presque inconnu que traversa Marco Polo, pouvoir étudier ce qu’avait entrevu Hue à l’aide d’un déguisement, quel rêve ! Quien sabe ! Nous verrons, me répondait invariablement mon compagnon. Ce qui pouvait être fait serait fait, je le savais. On tenterait peut-être l’impossible. Je n’oubliais pas le Pamir.
Je ne voudrais pas passer sous silence notre course rapide à travers la Russie. Nous avons pourtant été trop vite pour pouvoir rien décrire, mais, d’un autre côté, nous avons parcouru trop de pays pour qu’il me soit permis de taire cette partie du voyage. Les ennuis d’une longue route ont d’ailleurs été bien amplement compensés par les réceptions cordiales que nous ont faites les autorités russes.
Jusqu’à la frontière de Chine, nous n’avons rencontré que des amis, et nous avons pu croire, en quittant ces pays civilisés, que nous quittions une seconde patrie.