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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/489

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A Moscou, nous trouvons Rachmed, le fidèle compagnon des précédentes explorations de M. Bonvalot. Pour le rejoindre, il a renoncé à un voyage à Paris : « Si je n’étais pas venu, me disait-il, Il n’aurait pas été content. »

Quelques jours consacrés aux derniers achats, thé, casseroles, tabac et autres objets que nous n’aurions pas trouvés plus loin, et nous voilà de nouveau en route ; nous allons par gradations de la vie la plus civilisée à l’état presque sauvage.

Nous traversons Nijni-Novgorod, un mois avant la foire, redescendant le Volga, franchissant l’Oural entre Ekatérinenbourg et Tioumen. Le chemin de fer s’arrête à cette dernière ville. Pendant dix-sept mois, nous ne devons plus revoir de wagon.

A Tioumen, un préparateur sibérien est engagé ; il nous rejoindra à la frontière de Chine. Le vapeur nous conduit, en remontant l’Irtisch, jusqu’à Omsk. Après quelques jours d’arrêt, pendant lesquels on nous donne des cartes d’état-major, nous prenons une tarantass (chaise de poste), pour franchir 400 kilomètres de steppes, et gagner Scmipalatinsk, ville construite en bois, perdue au milieu des sables. J’y fais connaissance avec les cavaliers kirghizes, leurs yourtes de feutre, et leur koumis (lait de jument). Mais nous sommes pressés, l’hiver approche, il va falloir former la caravane. Nous n’avons pas de temps à perdre, et dans nos voitures attelées de trois chevaux de front à demi sauvages, nous volons littéralement sur la plaine qui borde le lac Balkhach, et à la limite de laquelle s’élève la petite ville de Tcharkent.

Celui qui n’a pas fait colonne ne peut se rendre compte du soin particulier qui doit être apporté dans l’équipement d’une caravane. Rien n’est à négliger. Le moindre détail y prend une place importante. Bonvalot en est à son troisième grand voyage. Il a, en cette matière, les connaissances que l’expérience seule peut donner. Nous profiterons d’ailleurs des mésaventures de nos prédécesseurs dans les régions où nous allons nous engager. Prjévalsky a manqué de vivres. Carey fut obligé de jeter des bagages, faute de cordes pour les charger. D’autres souffrirent du froid. Nous prenons une charge de chameau de feutre et de cordes. Il faut être large pour le nécessaire et rejeter impitoyablement tout ce qui n’est pas indispensable. Notre bibliothèque est réduite à sa plus simple expression, elle se compose de quelques ouvrages qu’on ne peut se lasser de relire : c’est Bossuet, Voltaire, Chateaubriand, Flaubert. Voilà pour les haltes.

L’esprit est satisfait ; pour le corps, nous emportons du thé en brique, de la farine, du pain à la graisse, du sucre. Ni vin ni conserves.