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qu’on lui adresse. Nous partirons quand même. Lorsqu’on a pris toutes les précautions recommandées par la prudence et l’expérience, il ne reste plus qu’à avoir confiance en ses compagnons et en soi-même. On a alors le droit de croire aveuglément au succès sans être accusé de présomption. Assurément nous ignorons ce que le sort nous réserve. Mais ce que nous savons bien, c’est où nous voulons aller. Nous avons eu le loisir de discuter notre itinéraire, et maintenant les grandes lignes de notre voyage sont arrêtées.

De Kouldja au Lob-Nor, nous traverserons le Turkestan chinois, c’est-à-dire un pays en grande partie connu ; nous suivrons une route déjà tracée par un voyageur russe, Prjévalsky, pour franchir les monts Thian-Chan et descendre à Korla. En sortant de cette ville, l’itinéraire de Prjévalsky se rencontrera avec celui de l’Anglais Carey, et nous serons dans des régions décrites.

Au Lob-Nor, il faudra nous ravitailler, renvoyer nos Russes avec nos collections, engager des hommes du pays, en un mot, se préparer à aborder l’inconnu, et, au milieu de l’hiver, à rencontrer de grandes difficultés. Ce sera la seconde partie du voyage : l’exploration du Lob-Nor jusqu’à Batang.

Nous essaierons de gagner cette ville, soit en nous avançant dans la vallée d’un grand fleuve, du Yang-tsé ou d’un de ses affluens, soit en nous dirigeant vers le sud, le long du 88e degré de longitude, pour tourner ensuite vers l’est, à travers le Thibet habité.

Carey est resté au nord des grands plateaux thibétains, cherchant en vain la route au sud, mais déclarant qu’il doit en exister une.

La tentative a bien des attraits, et, dans un horizon lointain, nous apercevons Lhaça, avec ses couvens aux toits d’or, la ville sainte, la Rome du bouddhisme, enfouie au milieu de ses grands arbres. Elle nous apparaît comme une cité enchantée des Mille et une nuits ; chacun y pense dans son for intérieur, mais personne ne veut en parler. Ne soulevons pas le voile qui la cache, songeons à la route ; on verra.

A Batang, le vrai voyage sera terminé, nous nous considérerons comme sauvés ; à quelques jours de cette ville il y aura des missionnaires, nous trouverons des compatriotes, des nouvelles et un appui. Il ne nous restera qu’à redescendre vers le Tonkin à travers le Setchuen et le Yunnan ; si des difficultés trop sérieuses s’opposaient à la réalisation de ce projet, nous aurions la ressource de nous embarquer sur le Yang-tsé et de nous laisser aller jusqu’à Shanghaï. De quelque côté que nous arrivions à la mer, nous aurons toujours traversé l’ancien continent de part en part et fait le plus grand voyage accompli en Asie.