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faire nommer recteur de l’Université d’Utrecht, » il est permis de traduire ainsi : l’Université d’Utrecht choisissait chaque année un recteur. Voet, en 1642, fut élu à l’unanimité; il le fut de nouveau en 1651. Si Baillet raconte qu’un professeur, pendant la soutenance d’une thèse, que l’on nommait alors une dispute, a été hué, sifflé et ironiquement applaudi par les étudians, on doit terminer là le récit, sans ajouter que Voétius se réjouissait du scandale et l’avait probablement préparé.

Si Baillet nous apprend que Voétius a fait composer par ses élèves un poème satirique, ou du moins en a permis l’impression, il est permis de traduire en disant : un poème satirique anonyme fut répandu parmi les étudians. De telles plaisanteries étaient alors continuelles dans les universités, sans que les recteurs pussent les empêcher. Si Baillet nous dit, enfin, que Voétius a extorqué contre un des professeurs de l’Université un décret du magistrat, nous pouvons, en rejetant ce mot injurieux que rien ne justifie, dire simplement, après examen des pièces : un décret du magistrat fut rendu contre le professeur Régius, sur une requête présentée, à l’unanimité moins deux voix, par l’assemblée des professeurs.

Le récit de Baillet, tronqué et altéré de cette manière, comme c’est justice, ne laisse subsister aucune impression défavorable au caractère de Voet. On trouve en lui un esprit ardent, zélé pour les traditions et qui défend, le front haut, comme le veut sa conscience, ce qu’il croit juste et vrai. Voet, professeur de théologie et de langue hébraïque, enseignait les formes substantielles d’Aristote, il repoussait le système de Copernic et le mouvement de la terre condamné par les saintes Écritures. La circulation du sang, dont Galien n’a rien dit, lui paraissait une innovation absurde et dangereuse; il croyait à la magie et la condamnait. Mieux vaut mourir, disait-il, qu’être sauvé par un sorcier : Prœstat œgrotare quam talibus medicis samari. Ces opinions, aujourd’hui en défaveur, ne sont nullement d’un malhonnête homme, et, en 1640, n’étaient pas même d’un ignorant.

Si Voétius avait pensé autrement, il aurait eu le courage de le dire, car il était sincère jusqu’à la brutalité ; mais le magistrat d’Utrecht ne l’aurait pas appelé, en 1634, à inaugurer l’enseignement de l’Université nouvelle, et ses collègues, en 1642, ne l’auraient pas choisi pour chef. Voet défendait la routine et l’erreur, nous le savons aujourd’hui ; les honnêtes gens l’ignoraient alors. Voet avait leur confiance, il maintenait les traditions, croyait professer la vérité et s’indignait contre les abus avec autant de liberté que de force. En tenant compte de l’époque et des circonstances, il faut le juger avec indulgence.