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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/502

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nous tenterons une route nouvelle vers le sud. Peut-être trouverons-nous les sources du Fleuve-Bleu, peut-être tomberons-nous dans la vallée du Kizilsou. Quoi qu’il en soit, notre but est Batang. Si jamais nous atteignons cette ville, nous sommes sauvés. Nous avons pris toutes les précautions que recommandait la prudence. Maintenant, de l’audace : en avant ! et à la grâce de Dieu !

Il nous faut un peu plus de trois semaines pour gagner la plaine du « lac qui ne se gèle pas. » La route ne fait que serpenter à travers des montagnes arides : Altyn-Tagh et ses contreforts, Chiman-Tagh, monts Columbo. En général, toutes les montagnes se ressemblent, et nous sommes fort étonnés de voir celles-ci déroger à la règle ; elles présentent, en effet, un caractère particulier que je n’ai rencontré nulle part ailleurs.

Ce sont des massifs élevés, entièrement sableux, encaissant çà et là des rochers de schiste déchiquetés. L’unique végétation est formée de petits arbustes rabougris qui croissent en bouquets. On ne voit que peu de neige, de loin, sur la cime des pics élevés. Dans ces chaînes, nous avons eu trois passes principales à franchir : l’une, Koum-davan (passe de sable), n’est accessible qu’aux chevaux et aux ânes ; à cause de nos chameaux, nous l’avons tournée en nous frayant un chemin nouveau sur le flanc de la montagne ; mais la marche a été lente, puisque nous n’avons avancé que de six cents mètres en un jour ; encore, tout le monde a-t-il dû se mettre à l’œuvre et faire force de bras.

Quant au deuxième col, on nous l’avait annoncé comme infranchissable, et, de fait, une fois que nous l’avons eu franchi, nous nous sommes dit que nos hommes venaient d’accomplir un vrai tour de force. On appelle ce col Tash-davan (passe des pierres) : ce sont, sur une hauteur d’environ 300 mètres, au milieu de pierres roulantes, des lacets étroits, tournant brusquement, et tracés sur une pente si raide que, d’en bas, je me demandais comment les animaux pourraient s’y maintenir. Il a fallu toute l’énergie et tout le dévoûment de nos serviteurs pour faire passer les chameaux d’un versant sur l’autre. Ce travail a duré un jour et demi ; nos chevaux et nos ânes ont dû faire un va-et-vient continuel de haut en bas pour soulager les chameaux. Quatre de ces animaux ont roulé jusqu’en bas, mais, par bonheur, ils en ont été quittes pour quelques contusions.

C’est au Tash-davan que nous commençons à souffrir du mal des montagnes. J’en suis particulièrement éprouvé : violens maux de tête accompagnés de nausées, saignement de nez et fatigue générale. La nuit, insomnie complète pendant laquelle on se trouve dans