L’effet de cette mesure fut considérable. Elle créa subitement à la reine une popularité immense parmi les officiers comme parmi les soldats, et son nom, à peine connu la veille, fut acclamé aussitôt dans tous les corps de troupe et dans toutes les garnisons. D’instinct et spontanément, l’armée, saluant en elle un nouveau chef, se plut à incarner dans cette jeune femme les idées d’honneur militaire et d’orgueil national que, jusqu’au règne actuel, les rois de Prusse avaient si hautement personnifiées.
Heureuse de se sentir comprise, devinée plutôt, par la portion qu’elle considérait comme la plus noble de son peuple, elle ne connut plus de mesure dans l’expression de ses sentimens contre la France. En présence du roi atterré, elle accusait les ministres de réduire la Prusse à la honte, et prêchait ouvertement la guerre à Napoléon.
L’adversaire qu’elle provoquait aussi audacieusement n’était pas-homme à tolérer qu’un roi qui se disait encore son ami et qu’il s’était lié par des traités formels, laissât tenir auprès de lui un pareil langage.
Vers les premiers jours de juin 1806, l’orage qui menaçait depuis si longtemps semblait donc sur le point d’éclater, tout faisait présager la guerre et chacun s’y disposait, quand Frédéric-Guillaume, se ressaisissant à l’approche du péril dans un de ces mouvemens subits de volonté dont les natures les plus faibles sont capables par accès, fit connaître à tous par un exemple éclatant qu’il était seul maître et juge des destinées de son peuple et que nul, si haut placé qu’il fût, n’avait droit de contrecarrer sa politique : il donna ordre à la reine de quitter Berlin et d’aller attendre aux eaux de Pyrmont que l’agitation dont elle était cause se fût apaisée. Le soin de sa santé servit de prétexte à cet exil momentané ; mais nul n’en fut dupe, car on sut aussitôt qu’avant de s’éloigner, elle avait dû faire acte de soumission, recevoir en faveur le ministre d’Haugwitz qu’elle avait si vivement attaqué, convenir de ses torts envers lui et promettre au roi de ne plus retomber à l’avenir dans les mêmes fautes.
Quand elle ne fut plus là, un grand silence se fit à la cour, une grande accalmie dans les esprits. Et, pendant quelques semaines, on put croire que le fléau de la guerre serait détourné de la Prusse.
Mais les causes d’un conflit avec la France étaient depuis si longtemps posées, tant d’événemens et de malentendus les avaient renforcées depuis un an, qu’il ne dépendait plus d’aucune volonté-particulière d’en arrêter les effets : les nécessités supérieures qui tôt ou tard dominent l’action des individus entraient en jeu.
Lorsque, dans les premiers jours du mois d’août, la reine revint de Pyrmont, la rupture était virtuellement accomplie entre le roi Frédéric-Guillaume et l’empereur Napoléon. Si l’on négociait