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part à ce voyage, et elle se refusait à les provoquer[1] ; mais les prières du roi finirent par la décider.

Parti de Königsberg le 27 décembre 1808, le couple royal arriva le 7 janvier 1809 à Saint-Pétersbourg.

Ce fut, pendant un mois, une série ininterrompue de spectacles, festins, parades, bals masqués, illuminations sur la Neva, tout ce que l’imagination somptueuse d’Alexandre pouvait inventer pour faire oublier à ses hôtes leurs misères présentes et sa trahison passée. Au milieu de ces fêtes, la reine passait gracieuse, souriante, adorée, mais cette vie brillante ne la touchait plus guère : tant de splendeurs et d’hommages succédaient à trop de tristesses et d’humiliations.

Lorsque le 12 février 1809 elle se retrouva dans le vieux château de Königsberg, elle put écrire en toute sincérité à son amie Mme de Berg : « Je suis revenue telle que j’étais partie. Rien ne m’éblouit plus, mon royaume n’est plus de ce monde. »

Elle entrait d’ailleurs dans une ère nouvelle d’angoisses, car l’Autriche tentait en ce moment un suprême effort pour secouer le joug formidable que depuis cinq années la domination napoléonienne faisait peser sur l’Europe. L’entrée des Français à Vienne, la victoire de Wagram, la paix de Schönbrunn et, conséquence honteuse de cette paix, le mariage de Napoléon avec l’archiduchesse Marie-Louise furent pour la pauvre reine de Prusse autant de coups qui la frappèrent au cœur.

Elle comprit alors que la résurrection de l’Allemagne ne s’accomplirait qu’après de longs efforts, et un secret instinct l’avertit qu’auparavant elle devrait mourir ; mais sa foi dans l’avenir demeura intacte. « Certainement des temps meilleurs viendront, écrivait-elle à son père. Je ne puis croire que l’empereur Napoléon soit ferme et assuré sur son trône resplendissant. Il n’agit pas d’après les lois éternelles ; son but n’est pas légitime, son ambition n’a d’autre fin que son intérêt personnel. Or la vérité et la justice seules sont immuables. Certainement des temps meilleurs viendront,… mais sans doute je ne les verrai pas. »

Ainsi après Wagram, comme après Tilsit, quand partout en Allemagne les têtes se courbaient devant la force victorieuse et que les âmes les mieux nées, lasses de lutter, acceptaient la

  1. Les commentaires, en effet, allèrent leur train. A Saint-Pétersbourg l’entourage de la princesse Narischkine, dont le tsar commençait à se détacher, tint les propos les plus désobligeans sur la reine Louise. Mais l’ambassadeur de France fut particulièrement grossier dans ses appréciations : « Caulaincourt, écrit Joseph de Maistre dans sa Correspondance (5/17 janvier 1809), s’est peu gêné pour désapprouver le voyage, lia dit sans façon chez la princesse Dolgorouki : « Il n’y a point de mystère à ce voyage, la reine de Prusse vient coucher avec l’empereur Alexandre. »