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et fade, et le portrait du vainqueur au Derby de 1865, le grand cheval maigre classique, que tient le jockey minuscule botté, coiffé de soie jaune, — vieilles chromographies qui traînent dans toutes les auberges anglaises, mais qui sont ici des bibelots rares et que le rajah fait encadrer précieusement.

Ce rajah, qui donne cent roupies par jour pour l’entretien des vaches sacrées et du temple de Siva, assistait, en 1887, au jubilé de la reine, en Angleterre. On dit qu’il a rapporté de fortes impressions et que la grande taille des chevaux de Londres a été son principal étonnement.


En face, de l’autre côté du Gange, confondu dans la file des édifices qui bordent le fleuve, est le grand temple des Singes.

Les dieux sont là, les dieux fauves qui gambadent sous les portiques, ou se balancent accrochés par la queue aux dentelures de la pierre. À notre vue, un grand tumulte, un grand frémissement de curiosité : avec de grands bonds souples, ils accourent, claquant des dents, battant des paupières, nous dévisageant de leurs yeux aigus, très anxieux.

Pieusement, je fais mon offrande, quelques graines achetées au brahme qui garde l’entrée du temple, et aussitôt, c’est un piaillement aigre, des cris perçans, un houspillement de corps velus, un pêle-mêle d’échinés ondulantes, des croupes rouges aperçues dans des culbutes.

On pense bien que ces divinités ne sont pas enfermées comme nos singes du Jardin des plantes. Ce temple n’est que leur quartier-général, d’où ils s’élancent tous les matins pour infester la ville, piller les jardins et les maisons. Un Anglais en abattit quelques-uns qui volaient ses fruits. Là-dessus, grande rumeur dans Bénarès ; les indigènes l’assiégèrent chez lui : il fallut faire venir les cipayes pour le défendre.

Le mardi, grande fête des singes, — presque toute la bande sacrée regagne son temple. Les dévots affluent et avec eux les offrandes, graines, noix de cocos, fruits. Solennellement, on sacrifie une chèvre, spectacle passionnant, qui soulève les huppes de poil, fait claquer toutes les mâchoires, fronce les sourcils velus sur les petits yeux perçans.


Il faut voir l’université. Car c’est un très vieux centre de culture hindoue que cette Bénarès. Autrefois ses brahmes philosophaient et l’on venait de très loin pour étudier leurs doctrines. L’astronomie, qui contemple ce qui est éternel, y était aussi fort en honneur. Ce matin, je visitais un vieil observatoire plein d’énigmatiques instrumens de pierre que surchargent des écritures