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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/675

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lui-même quand il s’exprimait ainsi, dans son Discours de réception à l’Académie française :


Ce qui répugnait à Scribe, ce qui lui semblait dangereux et haïssable, c’était l’exagération vaine, la chimère, l’affectation, le faux ; c’était la fantaisie substituée à la morale ; c’était la passion érigée en maîtresse vertu, en devoir suprême, en règle unique de la vie. Mais autant que personne, il avait dans le cœur et dans l’esprit l’intelligence bienveillante, l’amour même, et le culte de ces sentimens désintéressés, de ces délicatesses exquises, de ces nobles exaltations qui forment, dans une région supérieure au devoir lui-même, le domaine de la beauté morale ; mais autant que personne il savait qu’il y a dans les limites du vrai et du possible, un idéal généreux, qui est le romanesque des honnêtes gens ; et cet idéal, il le propose, il le recommande sans cesse à ceux qui peuvent être tentés de le méconnaître ou de le dédaigner.


N’est-ce pas lui visiblement, n’est-ce pas l’esprit de son œuvre qu’il définissait en ces termes, et non pas, — quoi qu’il en crût peut-être, — la nature d’imagination de l’auteur de la Camaraderie ? C’est l’Ermitage et la Clef d’or qui sont ce « romanesque des honnêtes gens ; » et non pas Bataille de Dames. C’est le Roman d’un jeune homme pauvre ; ce n’est pas le Domino noir ou Piquillo Alliaga. C’est lui, Feuillet, — avec Augier, dont la Gabrielle est de 1849, et avant Flaubert, — qui a dénoncé le premier « l’exagération vaine, la chimère, le faux, l’affectation, la passion érigée en devoir suprême ou en règle de la vie, » et généralement ce qu’il y avait, dans l’esthétique du romantisme, de plus dangereux encore pour la morale des honnêtes gens que pour la littérature. Ce « romanesque » a, en un mot, commencé la déroute du « romantisme, » et quand on lui reproche d’être ou d’avoir été trop « romanesque, » nous, au contraire, nous l’en louons, si par hasard c’est cela qu’on veut dire ! 0 duperie des mots, et fureur de « blasonner » les gens ! Si nous avons quelque chose dans notre littérature qui ressemble aux petits chefs-d’œuvre du naturalisme hollandais, à quelque Miéris ou à quelque Gérard Dow, — pour la familiarité de la donnée, pour l’intimité du caractère, pour le fini de l’exécution, — c’est le Village, où Feuillet a si bien exprimé ce qu’il peut y avoir de poésie cachée, sous la règle et dans l’uniformité d’une humble destinée provinciale. Et ce n’est pas un hasard, ce n’est pas une rencontre ; et c’est ainsi qu’il a toujours entendu le « romanesque ; » et j’en trouve la preuve encore, bien des années plus tard, dans ce passage du Journal d’une femme :