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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/682

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proie comme suspendue dans sa serre. » Hélas ! vingt-huit ans écoulés ont quelque peu rabattu de l’ambition de cette métaphore ; et je ne dis pas que les défauts que Sainte-Beuve relevait aigrement dans Sibylle y soient devenus autant de qualités, — ce qui s’est vu cependant quelquefois ; — mais encore peut-on lire Sibylle avec plaisir, avec émotion même, et c’est Mademoiselle La Quintinie qui est devenue parfaitement illisible. Quelle absence d’intérêt ! quelle abondance de mots ! quelle ingénuité de pensée ! « L’aigle puissante » avait-elle seulement compris le livre de « la blanche colombe ? » Je serais tenté d’en douter, et je dirais pourquoi, s’il n’était plus intéressant de montrer dans l’Histoire de Sibylle la suite et le développement d’une idée qui a toujours été celle de Feuillet, qui fait l’âme de son œuvre, et qu’on trouvait déjà dans les Scènes et Proverbes. Écoutez plutôt Suzanne d’Athol, dans la Clef d’or :


Dieu sait qu’aucune femme ne fut jamais plus disposée que moi à se contenter du rang modeste, des humbles devoirs que notre conscience nous assigne dans le monde ; mais il m’est difficile, monsieur, — c’est à son mari qu’elle parle, un mari qui ne l’est pas encore, — il m’est difficile de nous croire condamnées à n’être qu’une espèce de créatures subalternes dont vous pouvez à votre fantaisie refouler, maîtriser, anéantir même toutes les facultés, tous les instincts, toutes les passions. Sommes-nous en pays chrétien ? Avons-nous une âme ? Qu’est-ce, enfin ? Voyons. Quoi ! monsieur ! parce qu’il vous a plu de jeter sur ma personne, ou plutôt sur ma terre de Chesny, un coup d’œil favorable, me voilà forcée, moi, d’oublier tout à coup mes sentimens les plus chers, de commander à ma tête de ne plus penser, à mon cœur de ne plus battre ; me voilà réduite à vieillir éternellement dans le port, en vue des brillans horizons où m’emportaient mes songes ; à partager votre lassitude, moi qui n’ai pas voyagé ; — et votre mort, enfin, moi qui n’ai pas vécu.


Suzanne d’Athol ne réclame encore dans le mariage que le droit au roman ; mais une autre, Hélène d’Orthez, dans l’Ermitage, réclame quelque chose de plus :


Qu’appelez-vous un bon mari ? Le mariage est donc, à votre avis, une de ces transactions, une de ces affaires purement humaines où il suffit d’apporter le facile honneur, les qualités superficielles qui font un galant homme, comme vous dites ? .. Oui… vous vous mariez comme les prêtres de certaines religions barbares accomplissent les rites de leurs ancêtres, dont le sens est perdu pour eux ; vous vous mariez pour obéir à la vague influence de l’exemple, de la tradition, de la routine…