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membres du clergé anglican. La Société d’organisation de la charité de Londres a publié, sous la signature de son secrétaire principal, M. Ch. Loch, une critique sérieuse et approfondie des réformes proposées par le général. Un homme dont la parole est toujours écoutée, M. le professeur Huxley, est intervenu dans le débat. Un de ses amis était disposé à souscrire ; il l’en a vivement détourné, et il a déduit ses raisons dans des lettres qu’a publiées le Times et qui ont été fort remarquées. M. Booth a annoncé qu’il ferait paraître avant peu un nouveau livre pour réfuter ses contradicteurs ; on lira, on achètera ce livre autant que le premier ; mais que sert d’écrire ? C’est désormais sur l’événement qu’on le jugera, c’est à l’œuvre qu’on connaîtra l’ouvrier. Il a trop promis et trop reçu pour n’être pas tenu de réussir : ainsi seulement il fermera la bouche à ceux de ses adversaires qui n’ont pas craint de le surnommer le John Law de la philanthropie.

Parmi ses opposans les plus acharnés, beaucoup se sont dispensés de tout examen préalable et n’ont écouté que leurs préventions. Ils n’ont voulu voir dans M. William Booth que le général de l’Armée du salut, et le salutisme leur inspire une insurmontable antipathie, une invincible répulsion. M. Booth est assurément un prodigieux organisateur, et il en fait gloire. L’ordre qu’il a fondé, il y a vingt-cinq ans, s’est répandu de proche en proche sur le monde entier, s’est créé des établissemens dans trente-quatre pays, a planté son drapeau dans le Canada comme dans la République Argentine, dans l’Australie comme en Afrique. L’Armée du salut, commandée aujourd’hui par 10,000 officiers des deux sexes, a acquis partout des propriétés dont la valeur monte, selon les derniers rapports officiels, à près de 800,000 livres sterling ; elle en paie chaque année 220,000 pour la location des salles où elle tient ses réunions, elle a 27 journaux hebdomadaires, tirant à plus de 30 millions d’exemplaires. M. Booth se vante avec raison de ces prodigieux résultats, où il reconnaît le doigt de la Providence et la marque visible de la vérité de sa mission.

Malheureusement, cette religion qui abuse du tambour et de la trompette, et dont le culte ressemble un peu trop à la parade d’un spectacle forain, cette religion qui régénère et sauve les âmes par des concerts barbares ou grotesques et par des confessions publiques de pécheurs racontant, du haut d’une estrade, leurs iniquités, leurs souillures et leur guérison miraculeuse, offense le goût, selon les cas, ou blesse les pudeurs de la conscience. M. Huxley la qualifie de « christianisme corybantique » et la compare au culte de l’antique Cybèle, à ces confréries d’énergumènes qui, au son des fifres et des cymbales, promenaient dans les rues et les chemins leurs bannières, leurs psalmodies et leur orgiasme. Il compare aussi l’organisation de l’Armée du salut à la discipline des jésuites, et je ne doute pas que M. Booth n’ait