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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/789

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reste. Le juif a deux morales : une pour ses frères de sang ou de croyance, une pour les autres.

On sent la portée de l’accusation. La qualité d’homme, les droits inhérens à la personnalité humaine, la loi juive, affirme-t-on, ne les reconnaît qu’aux juifs. Les gentils, les goïm n’ont pas de droits vis-à-vis d’Israël ; et, envers eux, le juif n’a pas de devoirs. — A cela que répondent les Israélites ? Ouvrez la Bible, disent-ils, vous y rencontrerez la réfutation de ce mensonge. Voulez-vous des textes ? Quoi de plus précis que ce verset : « Vous traiterez l’étranger en séjour parmi vous, comme un indigène au milieu de vous ; vous l’aimerez comme vous-même, car vous avez été étranger dans le pays d’Egypte[1]. » Cette prescription est répétée plusieurs fois en termes solennels. La fraternité humaine est partout dans l’Ancien-Testament, à l’origine, comme à la fin des temps ; elle est dans les traditions de la création, aussi bien que dans les espérances messianiques. On pourrait dire que c’est un des dogmes essentiels de l’hébraïsme. L’esprit d’exclusivisme national, dont semblent empreintes quelques pages de la Bible, ne doit pas donner le change. Il faut, ici, distinguer les lois politiques des lois religieuses, ce qui est de l’état juif, et ce qui est de la foi israélite[2]. — Passe pour la Bible, disons-nous, encore que pareille distinction soit souvent malaisée ; mais le Talmud ? Rabbi Simon ben Johaï n’a-t-il pas dit : « Le meilleur des goïm, tue-le. » Et ce n’est pas le seul texte de ce genre. — Il est vrai, répliquent les juifs ; il se trouve, ça et là, dans le Talmud des paroles inspirées d’une sorte de fanatisme national ; mais, avant d’en rien conclure, il faut savoir ce qu’est le Talmud. Le savez-vous ? avez-vous une idée de la Mischna et de la Ghémara ? Connaissez-vous la différence de la Halakha et de la Haggada ? Vous paraissez vous imaginer que le Talmud de Babylone ou de Jérusalem est, pour nous, un livre inspiré, à tout le moins, une règle de loi. Il n’en est rien. Le Talmud n’est qu’une vaste compilation d’opinions, souvent contradictoires, de diverses écoles et de diverses époques. Autour de la Mischna, recueil des anciennes décisions rabbiniques, s’est amoncelé, sous le nom de Ghémara, un amas énorme et incohérent de commentaires, d’annotations, de gloses, de discussions de toutes sortes. Pour citer le Talmud, il faut en connaître la valeur ; vous ne pouvez lui attribuer plus d’autorité que nous ne lui en reconnaissons nous-mêmes.

  1. Lévitique, XIX, 34- Cf. ibid., XXIV, 2 ; Deutéronome, X, 18, 19.
  2. Cette distinction entre les dispositions politiques, de leur nature temporaires et caduques, et les lois religieuses données à Israël, pour tous les pays et tous les temps, a été établie ou confirmée solennellement par le grand sanhédrin réuni par Napoléon.