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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/827

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pieusement ensevelie et avoir allumé autour de ses reliques un millier de cierges, s’empressa d’épouser Zoé, fille de Stylianos, avec laquelle il vivait depuis longtemps en état de concubinage. Zoé morte, il convola en troisièmes noces et épousa une certaine Eudokia. Enfin, veuf pour la troisième fois, il prit pour maîtresse Zoé Carbonopsina, et, quand elle fut mère d’un enfant mâle, en fit une Augusta. Celle-ci, devenue la tutrice de son fils Constantin VII, paraît avoir été d’une conduite irréprochable. Il en fut de même pour Hélène, l’épouse de ce savant empereur. Mais avec le fils de celui-ci, le futur Romain II, la chronique du harem s’enrichit de nouvelles histoires.

Ce sont précisément celles que nous raconte M. Schlumberger. Ce Romain, étant encore très jeune, avait été fiancé avec Berthe, fille naturelle d’Hugues, roi d’Italie. La jeune Italienne entra dans le gynécée impérial, mais mourut avant que le mariage eût pu être célébré. Le père et la mère de Romain autorisèrent alors son union avec une certaine Théophano, que Léon le Diacre déclare la plus belle, la plus séduisante et la plus raffinée de toutes les femmes. Elle était née dans l’échoppe de son père, le cabaretier Cratéros (c’est-à-dire Grande-Coupe, un vrai sobriquet de marchand de vin). Son vrai nom n’était même pas Anastasie, mais plutôt Anastaso, un nom de servante. Où et comment Romain l’avait-il connue et par quel enchaînement de circonstances put-elle passer du cabaret paternel au gynécée du Palais-Sacré ? C’est ce que nous ignorons. Ce ne sont pas les historiens officiels qui nous renseigneront à ce sujet, car voici ce que nous lisons dans le chroniqueur patenté : « L’empereur choisit pour son fils Romain une épouse de noble naissance, Anastasie, fille de Cratéros, et qui prit le nom de Théophano ; le Basileus Constantin et l’impératrice Hélène se réjouirent d’avoir pu donner à leur héritier une fille d’une aussi vieille race. » Théophano, astucieuse, perverse, très intelligente, exerça une influence despotique sur son mari et même sur son beau-père. Dès lors, elle fit passer au second plan la mère et les sœurs de son mari. A peine le vieil empereur eut-il expiré et eut-il été pompeusement couché dans son sarcophage de porphyre rouge à l’église des Saints-Apôtres, Théophano exigea l’éloignement de l’impératrice-mère et de ses cinq filles. Le nouvel empereur résista en ce qui concernait sa mère, mais céda pour ses sœurs. Comme elles n’avaient point la vocation du cloître, ce fut un arrêt cruel que celui qui les chassait du palais paternel pour y faire place à une parvenue et qui les condamnait à échanger les joies du foyer, les splendeurs de la cour, les somptueux vêtemens impériaux contre la réclusion dans un monastère et la robe sombre des nonnes. Il fallut que les eunuques du palais les fissent entrer presque de force dans