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complètement, s’il fixait ailleurs tout ce qu’il a d’attention. La distraction, dirons-nous, est une insensibilité passagère, et, à l’inverse, l’insensibilité est une distraction permanente.

L’expérience a démontré l’exactitude de ces vues théoriques. M. Pierre Janet a fait voir combien il est facile de distraire les hystériques ; dès que l’attention de ces malades est retenue sur un point, on provoque en eux une foule de perceptions, de mouvemens et d’actes, dont leur moi n’a pas conscience. Ainsi, pendant qu’ils causent avec une autre personne, on peut souvent s’approcher d’eux, toucher par derrière leur épaule, prendre leur bras, le pincer, le soulever en l’air sans qu’ils s’en aperçoivent. Ce procédé de la distraction permet d’entrer directement en relation par la parole avec ce que nous avons appelé l’intelligence inconsciente de ces malades ; il suffit de distraire le sujet, puis de lui parler à voix basse : le sujet n’entend rien, mais cette intelligence seconde qui est en lui écoute ; puisqu’on lui parle, on lui donnera des ordres et des suggestions ; on conviendra, par exemple, qu’elle répondra par écrit à ce qu’on lui demande, ce qui permet d’entretenir avec elle de longues conversations, et pendant ce temps la personnalité principale ne voit rien, n’entend rien, ne se doute de rien. M. Pierre Janet a publié quelques-unes de ces conversations ; il suffit de les lire pour se convaincre que l’intelligence seconde raisonne, lie ses idées, a ses manières propres de penser et de sentir ; elle sait même qui elle est, accepte ou refuse un nom et se distingue, en tout cas, de l’autre personnalité. À ces signes, on est forcé de reconnaître qu’elle est douée de conscience et qu’elle est capable de réunir tous les élémens d’une personnalité complète. Nous voici donc amenés, par toute une série d’expériences, à cette conclusion importante : plusieurs personnalités morales, ayant chacune conscience d’elle-même, peuvent vivre côte à côte, sans se confondre, dans le même organisme.

Jusqu’ici, nous n’avons parlé que d’hystériques ; on aurait tort d’en conclure que les phénomènes de division de conscience ne s’observent que chez ces malades. L’hystérique ne doit être considéré que comme un sujet de choix, agrandissant des phénomènes qui sont, dans une certaine mesure, présens chez tous. J’ai pu m’assurer, à plusieurs reprises, sur des personnes nullement hystériques, qu’on peut trouver chez elles un rudiment de la désagrégation de conscience. Par exemple, il est relativement facile de leur faire répéter des mouvemens communiqués sans qu’elles en aient conscience. Si l’on place un crayon dans leur main, si on les prie d’abandonner cette main à l’expérimentateur sans opposer de résistance, et sans exécuter de mouvemens volontaires, on peut