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surgir l’occasion d’un conflit. Le pacte de Gastein était à peine exécuté qu’on fit au cabinet de Vienne une sorte de procès de tendance. Incriminant tous ses actes dans le Holstein qu’il administrait, l’attitude, et même les paroles de ses agens, M. de Bismarck l’accusa de pactiser tantôt avec les populations, tantôt avec les prétendans, au détriment des droits acquis à la Prusse. Il ouvrit une correspondance diplomatique calculée pour irriter l’Autriche et provoquer des dissentimens. Pour mieux l’inquiéter, il ne dissimula pas ses intentions. Le gouvernement de l’empereur François-Joseph était averti, et à la véhémence des reproches du ministre prussien, il opposait une prudente réserve. « L’Autriche ne veut pas la guerre, disait un diplomate à M. de Bismarck, et elle évitera de vous en fournir le prétexte. — J’ai plein mon sac, répondait le futur chancelier, de prétextes et même de causes plausibles. Quand le moment sera venu, elle éclatera sans même surprendre personne. » On atteignit ainsi les premiers mois de 1866. Les fusils ne partant pas dans les duchés, malgré tout le désir qu’on avait d’y faire naître un incident, M. de Bismarck souleva à Francfort la question de la réforme fédérale. De tous les prétextes qu’il avait dans son sac, il choisit celui qui devait mettre le plus rapidement les deux puissances aux prises, et, ainsi qu’il l’avait prédit, la guerre survint comme une nécessité inéluctable.

Il ne faudrait pas croire cependant que Guillaume Ier et son ministre aient engagé une si redoutable partie sans en avoir pesé les chances, sans en avoir prévu les périls. « Dieu n’est jamais avec l’agresseur, » avait dit, en 1812, l’empereur Alexandre au moment où Napoléon envahissait la Russie. Se souvenant de cette parole qu’il avait recueillie dans sa première jeunesse et mûrement méditée, le roi l’avait comprise dans son programme. Il désirait la guerre aussi ardemment que ses conseillers, il l’avait préparée en consacrant tout son temps et tous ses soins à la puissante organisation de son armée, mais il ne voulait ni en prendre ouvertement l’initiative, ni en assumer la responsabilité : il ne voulait pas paraître l’agresseur. Son ministre ne négligea rien pour apaiser sa conscience alarmée, et l’Autriche y contribua elle-même en déclinant la réunion d’un congrès. Et quand, après Sadowa, le roi rentra victorieux dans sa capitale, il se crut autorisé, en ouvrant les chambres, à remercier la Providence de la grâce qui avait aidé la Prusse à détourner de ses frontières une invasion ennemie.

Est-ce bien à la Providence qu’il devait offrir l’expression de sa gratitude, n’est-ce pas plutôt à la France et à la Russie ? L’une