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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/912

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qui trouve facilement accès en France. Quel autre pays a donné à ses voisins des preuves plus éclatantes de sympathie et de désintéressement ? On a vu le drapeau de la France partout où il y a eu une noble cause à défendre. Y a-t-on rencontré celui de la Prusse ? Qu’a-t-il fait, d’ailleurs, pour désarmer nos ressentimens ? A-t-il ménagé la dignité du vaincu de l’année néfaste ? A-t-il eu de meilleurs procédés pour la Russie, si longtemps son alliée docile ? S’inspirant du sentiment qu’il nous prête, il a vu partout des agens secrets, un espionnage organisé ; il a expulsé de l’empire allemand, sous divers prétextes, des sujets russes par milliers. La Russie n’a pas relevé la rigueur de cette mesure, elle a usé de représailles. A Berlin, on s’en est pris alors aux valeurs russes, on en a entravé la négociation, elles se réfugièrent à Taris ; on sait l’accueil qu’elles ont trouvé sur notre marché financier. D’autres dispositions ont été prises des deux côtés, toutes également inspirées par l’animosité, et l’Europe, inquiète, assiste au spectacle que lui donnent, au nord, l’Allemagne et la Russie ; au midi, la France et l’Italie, puissances limitrophes, en état permanent d’hostilités administratives et économiques, se livrant à une guerre de tarifs qui n’a jamais été un présage de relations pacifiques.

Et voilà la paix que la triple alliance nous offre et qu’elle entend exposer. Paix qui entraîne les gouvernemens aux mesures excessives et irritantes, paix qui exaspère les esprits et écrase les populations, « paix lourde et ruineuse, » de l’aveu de M. de Bismarck lui-même, « préférable, a-t-il ajouté, à la ruine qui suit une guerre, même heureuse. » Que ne parlait-il ainsi avant d’infliger les calamités de la guerre au Danemark, à l’Autriche, à la France ! A quel prix, au surplus, obtient-on cette paix ruineuse ? En solidarisant les intérêts des contractans, l’accord des trois cours a solidarisé les intérêts respectifs d’autres puissances. La France et la Russie n’ont conclu aucun traité ; elles sont néanmoins étroitement unies par le sentiment de leur mutuelle sécurité, lien plus solide assurément que la sympathie qui a rapproché l’Italie de l’Autriche. La triple alliance a ainsi partagé le continent en deux camps constamment sous les armes, et prêts, de part et d’autre, à s’entrechoquer. Est-ce une paix bien garantie, est-ce la paix qui engendre la confiance, qui encourage le travail et les échanges, qui rapproche les peuples et participe à leur bien-être ? Est-elle durable enfin ? L’Europe peut-elle en faire les frais indéfiniment ? Avec les charges qu’elle exige, ne conduit-elle pas à la guerre, à une lutte d’autant plus meurtrière que les combattans seront plus nombreux et plus formidablement armés ? C’est cependant à ces effroyables calamités, si on ne parvient à les conjurer, que la triple alliance a