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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/926

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lois qui dépossédaient de leurs terres les légitimes propriétaires du sol, l’établissement des réserves a porté à son comble l’exaspération des Indiens. Le nomade dépouillé y voyait un attentat à sa liberté, son dernier bien. Il ne comprenait ni le souci du gouvernement de l’isoler du colon, ni son désir de l’amener à la vie sédentaire et agricole, de le gagner à la civilisation. Parqué dans la réserve, exploité, affamé par des agens sans entrailles, il se tenait pour condamné à une mort lente et préférait mourir en se vengeant. De toutes les mesures prises par le gouvernement américain, aucune n’a été plus funeste que celle-ci, inspirée cependant par un sentiment d’humanité. A l’origine de tous les soulèvemens, on retrouve la réserve, et l’acharnement que les Indiens apportèrent dans leurs luttes inégales prouve l’intensité de leurs haines. S’ils ne furent ni assez forts, ni assez nombreux pour mettre la république en péril, ils furent assez vaillans pour infliger parfois à ses troupes des pertes sensibles.

Sans grand retentissement au dehors, ces guerres indiennes n’en furent pas moins sanglantes. Guerres d’embûches et de surprises, sans quartier ni merci, elles abondent en faits héroïques. Un épisode, entre beaucoup d’autres, mettra en relief la tactique des Peaux-Rouges et les périls que devaient affronter leurs adversaires.

C’était en 1879. Les Indiens-Utes étaient cantonnés dans une réserve, située sur le Haut-Missouri, à grande distance de tout centre de civilisation, complètement en dehors et au nord de la ligne qui reliait les états de l’Atlantique à ceux du Pacifique. De nombreux symptômes de mécontentement s’étaient manifestés parmi eux, et, au mois de septembre, l’agent de la réserve expédia une dépêche au poste militaire le plus rapproché pour demander des renforts, sans lesquels il estimait, disait-il, que sa vie et celle de ses subordonnés étaient en danger sérieux. Il ne se trompait pas. Deux jours plus tard, les Indiens l’assassinaient, lui et les siens. La dépêche arrivait en ce moment même à destination, et le major Thornburgh recevait ordre de partir immédiatement à la tête de trois compagnies de cavalerie. Les Indiens l’attendaient au défilé de la Rivière-Blanche, à 25 milles en avant du fort de la Réserve. Suivant leur tactique invariable, ils laissèrent les troupes s’engager dans le défilé surplombé des deux côtés par des rochers derrière lesquels ils étaient tapis.

Tout à coup, et sans que rien eût annoncé la présence de l’ennemi, une décharge de mousqueterie éclata sur la tête du convoi, tuant les mules et les bœufs et fermant complètement l’étroit passage. Les premières charrettes, ne pouvant plus avancer, barraient