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le gouvernement américain n’avait prévu ni l’afflux de l’émigration dans le Dakota, ni la découverte de mines d’or dans la région des Black-Hills, ni les conséquences de l’achèvement du chemin de fer du Pacifique. Les villages et les villes ne tardèrent pas à surgir autour du territoire indien : Rapid-City, où se concentraient les banques et les magasins d’approvisionnemens des mineurs envahissant les Black-Hills ; Pierre-City, plus importante encore ; Mandan, centre industriel ; Bismarck-City, capitale du Nord-Dakota. Les fermes se multipliaient ; les colons demandaient des terres et une voie de communication avec le Wyoming. Les Indiens tenaient les terres, et la voie de communication devait emprunter leur territoire. Enfin, la région des Black-Hills, sur laquelle débordaient les chercheurs d’or, était, aux yeux des Sioux, terre sainte. Ils n’entendaient pas la céder, et, au gouvernement qui offrait de la leur acheter au prix de 30 millions, payables en quinze annuités, ils répondaient par un refus dédaigneux. Invités à faire des propositions, ils demandèrent 250 millions, sachant bien qu’on ne les leur donnerait jamais.

Ils ne les obtinrent pas, et, dans leur rapport à Washington, les négociateurs américains déclarèrent n’avoir pu faire entendre raison aux Sioux. Ils terminaient par ces mots significatifs : « Nous avons tout lieu de croire que les Sioux n’apprécieront la magnanimité du gouvernement que le jour où ils sentiront sa force, » et ils concluaient en invitant le pouvoir exécutif « à maintenir son offre et à contraindre les Indiens à l’accepter[1]. »

L’âme de la résistance était l’un des chefs sioux, Sitting-Bull, le « Taureau-Assis, » celui-là même qui a donné le signal de la récente prise d’armes. Il passait pour l’un des plus vaillans de sa tribu. Né en 1837, il s’était acquis, dès l’âge de dix ans, la réputation d’un habile chasseur de bisons. Son père, Jumping-Bull, alors chef des Sioux, était riche ; il possédait de grandes terres et de nombreux troupeaux. Aussi son fils, Sacred-Stand, comme on l’appelait alors, abandonnait-il aux plus pauvres de ses compatriotes le butin de sa chasse. A quatorze ans, il tuait et scalpait son premier ennemi et prenait le nom de Tatanka-Yotanke, le « Taureau-Assis, » qu’il garda depuis. Telle était sa popularité et son incontestable bravoure qu’à la mort de Jumping-Bull il fut proclamé chef des Sioux. En lui s’incarnaient les instincts de sa race ; il en avait les croyances superstitieuses, l’attachement au sol natal, la haine pour les envahisseurs. En 1876, il comptait

  1. Rapport des délégués chargés de traiter de l’acquisition des Black-Hills. Documens exécutifs, 1875-76, vol. IV.