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Paris, 5 février 1891.

Cher Monsieur,

J’ai l’honneur de vous envoyer ma réponse à la note de M. Garofalo :


« Notre époque, a dit M. Garofalo, ne doit pas punir les enfans des délinquans, mais elle devrait empêcher qu’ils naissent. » Je reconnais que l’honorable magistrat n’a pas indiqué, parmi les moyens employés pour atteindre ce but, comme l’ont fait certains anthropologues, l’emploi d’une opération chirurgicale, et je suis heureux de constater qu’il refuse de pousser à cette extrême conséquence sa théorie de la « sélection artificielle. »


Je n’étais pas le seul, parmi les écrivains français, à m’être trompé sur les intentions de M. Garofalo. Comment avons-nous été conduits à cette interprétation qu’il désavoue ? C’est que nous n’apercevions pas un autre moyen efficace d’empêcher la « procréation. » L’auteur de la Criminologie répond qu’il a signalé deux moyens de l’empêcher : « la mort des délinquans, l’isolement perpétuel de leur sexe. » Laissons de côté la mort, qui ne peut être appliquée, même dans le système le plus draconien, qu’à un très petit nombre. Est-ce qu’on peut détenir perpétuellement tous les délinquans pour les empêcher d’avoir des enfans ? Non, sans doute, et M. Garofalo me contredira d’autant moins sur ce point, qu’il propose de remplacer l’emprisonnement par la déportation : la déportation serait la pierre angulaire du nouveau système répressif. (Voir la Criminologie, édition française de 1888, p. 238, 395, 398, 402 et 403.) Or il nous paraît absolument impossible d’organiser pour ces légions de déportés un système de surveillance diurne et nocturne qui prévienne tout rapprochement entre les deux sexes.

En second lieu, M. Garofalo me reproche d’avoir écrit qu’un autre criminaliste français le blâmait à bon droit de citer avec « admiration » les terribles exécutions d’Henri VIII et d’Elisabeth. En déclarant que les soixante-douze mille pendaisons d’Henri VIII seraient « justifiées » dans l’acception rigoureuse « de la logique, » M. Garofalo se défend d’avoir « admiré, » et je lui donne bien volontiers acte de ses réserves. Mais la question de savoir jusqu’à quel point un historien justifie un événement historique et dans quel esprit il en parle appartient à la critique. Je n’ai pas d’autre explication à donner.

Votre bien dévoué,


A. DESJARDINS.