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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/955

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Guillaume II reste toujours, d’une certaine manière, ce qu’il était sous l’empereur Guillaume Ier. Il a la même politique, les mêmes alliances, les mêmes intérêts. Qui pourrait dire cependant que c’est absolument le même empire ? Guillaume II introduit dans les affaires allemandes un esprit nouveau, des allures nouvelles. Il veut être l’empereur réformateur, socialiste, rénovateur des écoles en même temps que l’empereur soldatesque et chrétien. Non-seulement il remue tout, abordant d’une humeur intrépide les problèmes les plus scabreux ou les plus variés ; mais il tient visiblement à tout rajeunir autour de lui, les hommes comme les choses. Et il ne s’arrête pas, il aime le mouvement et le changement ! Il a commencé par se débarrasser lestement de M. de Bismarck, qui le gênait et qui en est aujourd’hui, dans sa retraite un peu désertée, à une fronde morose peu digne de son passé et de son âge. Depuis, l’infatigable empereur a renouvelé plusieurs fois son ministère ; il en est à son troisième ou quatrième ministre de la guerre. Il avait placé à la tête du grand état-major-général de l’armée, comme successeur de M. de Moltke, le comte Waldersée, qu’on croyait le chef prédestiné, le favori impérial : voici cependant que le comte Waldersée, après moins de deux ans, a perdu à son tour la faveur ; il vient d’être envoyé, par une disgrâce peu déguisée, à un commandement de province, à la place du général Leczinski, coupable d’avoir reçu avec des honneurs particuliers l’ancien chancelier, le premier des disgraciés, l’impatient solitaire de Friedrichsruhe.

Fonctionnaires et généraux ne font que passer, et cette éclipse successive des hommes n’est point, à coup sûr, le signe le moins curieux du changement des choses en Allemagne ; mais ce n’est pas seulement en Allemagne que tout change. La chute de M. Crispi en Italie est, certes, un des incidens les plus significatifs de cette situation nouvelle, de ce qu’on pourrait peut-être appeler une phase de transition dans la politique et les affaires de l’Europe.

Oui, vraiment, le prépotent Italien de ces dernières années, le bouillant président du conseil du roi Humbert, M. Crispi lui-même, est tombé avec éclat ! Il est tombé tout à coup, non pas disgracié par son prince, mais désavoué par son parlement, dont il croyait pouvoir disposer, par le pays qu’il se flattait de gouverner en maître. Il n’avait cependant rien négligé pour prolonger son omnipotence. Il avait fait, il n’y a que quelques mois, des élections qu’il avait savamment préparées par des discours, par beaucoup de promesses, et qui semblaient, en lui donnant une majorité, assurer son règne. Il avait seulement oublié que les majorités sont changeantes, que les façons dictatoriales ne réussissent pas toujours, qu’on ne tranche pas toutes les difficultés avec des jactances. A peine la chambre nouvelle était-elle réunie, on ne tardait pas à s’apercevoir que la majorité obtenue aux élections arrivait toute disposée à soutenir le ministère, mais aussi à prendre au sérieux les