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seulement, tous ces employés sont Hindous, adorateurs de Siva et de Vichnou, marqués au Iront du signe religieux que l’on trace avec des cendres et de la fiente de vache. — C’est la mer, aperçue à tous les coins de rue, bleue, immobile comme une toile peinte. — C’est la ville indigène, une cité sous une forêt, un fouillis de rues étroites, tortueuses sous une voûte ininterrompue de palmes. — C’est une ruelle où l’on célèbre un mariage, épaisse d’humanité demi-nue qui coule lentement comme une onde gluante parmi la foule somptueuse des invités dont les vêtemens de soie luisent en reflets opulens. Il y a des rangs pressés de fillettes toutes drapées d’étoffes splendides et ces petites têtes sombres coiffées de bandeaux lisses et brillans, si noirs qu’ils tirent sur le bleu comme l’aile d’un corbeau, sont étrangement enfantines et graves. La pourpre et l’orange des satins sinueux flambent sur un fond blanchâtre de membres polis, de torses gras de brahmes, d’innombrables corps nus. Et ce monde s’agite en remous dans la rue étroite, jette une chaleur suffocante qui monte sous les palmiers épanouis au-dessus des cases, sous les figuiers sacrés où courent les écureuils, où jacassent des perroquets nombreux comme des fruits.

Au bout de cette ville hindoue, près de la mer, est l’hôpital des animaux. Il y a là des meutes de chiens galeux, un vieil aigle très affaibli, beaucoup de pigeons et de perruches, des paons qui traînent par les cours la splendeur de leurs queues, un porc-épic poitrinaire dont les yeux éteints font pitié, un petit daim éclopé et des salles pleines de vaches aveugles. Dans cette étonnante ménagerie errent paresseusement les brahmes, éternels mangeurs de bétel qui vivent en frères avec tous ces souffrans, avec ces bêtes saintes parce qu’elles manifestent un instant l’indestructible Siva, parce qu’elles sont des étincelles dans la flamme vibrante de l’éternelle vie. Comme une vache urinait, un brahme a plongé ses mains dans le liquide sacré et j’ai vu ses lèvres remuer. Sans doute il prononçait le puissant mantra : « Salut, vache ! mère de Rudra, sœur de l’Aditrya, source de l’ambroisie. »

En revenant par les larges rues de la ville commerçante, on aperçoit de bien curieux mélanges de vie anglaise et de vie hindoue. De grandes bâtisses sont couvertes d’annonces comme celles-ci : Theistic Bombay temporary relief association — Hindu cricket club, — Parsee cricket association. Je voudrais bien suivre une partie de cricket jouée par ces Orientaux. Ils ne doivent pas mettre beaucoup d’ardeur au jeu, les Hindous. — Ces cercles de sportsmen indigènes sont bien la plus amusante copie de l’Angleterre