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La frappe libre se trouvant en présence, non d’un excédent, mais d’un manquant, devrait donc, en vertu des lois économiques, ramener le prix de l’argent au taux légal, soit à dollar 1.29 ou 59 pence l’once. Quand même les 70 millions de dollars d’argent qu’on pourrait frapper ne seraient pas absorbés par les besoins croissans de numéraire et élimineraient une quantité égale d’or, comme les États-Unis possèdent pour 700 millions de dollars de ce métal, il en résulterait qu’il faudrait dix ans pour que, tout l’or étant exporté, l’action de la frappe bimétallique libre perdît son action régulatrice sur le prix de l’argent. C’est seulement quand une traite tirée sur New-York ne pourrait plus être payée qu’en argent, que le prix de ce métal et le change sur les États-Unis se régleraient d’après le cours variable du métal blanc à Londres.

D’ailleurs, l’or ne serait pas soustrait aux États-Unis aussi facilement et aussi vite qu’on serait tenté de le croire. Les 120 millions de francs (24 millions de dollars) d’argent frappés sous l’empire du Bland-bill n’ont pas empêché l’Amérique d’enlever de l’or en Europe et d’en accumuler pour 3 milliards et demi de francs en dix-sept ans. Le métal jaune ne pourrait être exporté par des opérations d’arbitrage sur l’argent, car à l’état de monnaie en Europe il a une moindre valeur qu’en Amérique, et à l’état de lingots, comme l’a souvent affirmé M. Freemantle, directeur de la Mint anglaise, il n’en existe nulle part d’approvisionnement considérable.

L’or serait sans doute exporté en vertu d’un change défavorable, dans le cas où l’abondance du numéraire amènerait une notable hausse des prix et favoriserait par suite les importations de marchandises étrangères, mais le fameux bill Mac-Kinley a pourvu à ce danger. Déjà précédemment, la balance du commerce était, en général, favorable aux États-Unis. Elle le sera bien plus, maintenant que les droits protecteurs ont été relevés d’une façon exorbitante et que les formalités les plus vexatoires et les plus arbitraires dans l’exécution entravent l’envoi des produits européens. Des mesures de représailles sont impossibles, car nous ne pouvons nous passer de leur blé, de leur coton, de leur lard, de leur pétrole, et ils peuvent, eux, se dispenser d’acheter nos objets manufacturés, car ils les fabriquent eux-mêmes plus chèrement, il est vrai, mais mieux que nous. Il est donc possible que, grâce au prodigieux développement de la population, de la richesse et des échanges, l’Union puisse maintenir son rapport légal entre l’or et l’argent, même avec la frappe libre des deux métaux, pendant un certain nombre d’années dont il est impossible de prévoir le terme. Néanmoins, comme il n’est pas probable qu’elle puisse, à défaut