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comme le reste. « Pourquoi, s’écriait Diderot, étudier dans nos écoles, sous le nom de belles-lettres, des langues mortes qui ne sont utiles qu’à un très petit nombre de citoyens ; les étudier six à sept ans, sans même les apprendre, et sous le nom de rhétorique enseigner l’art de parler avant l’art de penser et celui de bien dire avant que d’avoir des idées ? » l’objet des écoles publiques, ajoutait-il, est l’utilité.

Il y a dans ces quelques lignes toute une nouvelle conception du but de l’enseignement, et cette conception va grandir et jouer un rôle de plus en plus considérable au temps de la Révolution d’abord, puis à notre époque. Nous serions entraînés trop loin si nous prétendions exposer ici en détail les idées et les tentatives théoriques d’organisation présentées à l’époque de la Révolution, au moment où, après avoir détruit les anciennes institutions et fait table rase, on imagine de reconstruire des organismes appropriés à la nouvelle société.

Quelques idées fondamentales d’alors doivent pourtant être mises en évidence, parce qu’elles ont continué à jouer un rôle important, même de notre temps. La première est celle-ci : l’État doit à tous l’instruction, mais il ne leur doit que l’instruction primaire. D’après Sieyès et Daunou (1789-1793), « l’État ne doit que l’instruction nécessaire à des citoyens français, la lecture, l’écriture, les règles de l’arithmétique, l’art de se servir des dictionnaires (!), les premières connaissances de géométrie, de physique, de géographie et d’ordre social... Nul ne peut s’en passer; mais c’est là tout ce que la république doit. Quant aux lettres et aux sciences, il suffit de les honorer; mais il convient de s’en remettre pour les cultiver à l’industrie particulière et à la liberté... » — « La république, disait un autre, n’est pas obligée de faire des savans ; de quel droit demanderait-elle pour eux un privilège ? On ne doit faire payer à la bourse commune que l’instruction commune à tous. » Bourdon déclare de même qu’il s’agit d’élever à la place des universités des écoles d’arts et métiers, où l’on enseigne les moyens de perfectionner les enfans dans les fonctions utiles. L’utilité d’une culture générale, celle de la culture des sciences en particulier, pour maintenir le prestige moral et la force matérielle des sociétés, étaient ainsi complètement méconnues.

Cependant, ces conceptions étroites n’ont pas cessé d’être combattues au temps même de la Révolution. Le Lycée conçu par Condorcet réunissait dans son plan tout ce que réclame le travail intellectuel, aussi bien pour l’enfance que pour la jeunesse : mathématiques, sciences physiques, sciences de la nature vivante, science de l’homme, morale, science des sociétés, langues, littératures,