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Ce dernier point mérite toute notre attention. Dans nos lycées, on enseigne trop les langues modernes d’après les types grammaticaux et littéraires auxquels les langues anciennes ont été réduites, par la suite des temps et la désuétude de leur emploi pratique. Le système d’une agrégation de langues modernes a concouru surtout à en fausser l’enseignement, par la conformité routinière de ses épreuves conventionnelles avec celles de l’agrégation des langues anciennes. Au lieu de tenir à honneur de former avant tout des maîtres de langues, dont le mérite et les services seraient appréciés d’après les résultats obtenus, c’est-à-dire d’après la perfection avec laquelle leurs élèves auraient appris à parler et à écrire l’allemand et l’anglais, les personnes qui dirigent cet enseignement ont trop cédé, peut-être, au désir de faire prévaloir dans l’enseignement des langues modernes les méthodes essentiellement littéraires, qui constituent aujourd’hui l’enseignement des langues mortes. On prétend former également les enfans par la culture allemande ou anglaise, fût-ce en diminuant la part faite à notre propre culture nationale. Certes, je suis loin de faire fi du côté littéraire ; mais ce n’est pas là ce que réclament les familles. Il importe de rompre le plus tôt possible avec ces procédés, déjà surannés dans l’enseignement des langues classiques, et qui empêchent notre jeunesse de parvenir à une connaissance effective des langues modernes. Cessons de regarder comme un but idéal ce savant échelonnement des classiques modernes, dans le parcours duquel on épuise l’intérêt et les efforts des enfans ; sans leur apprendre tout d’abord et substantiellement les langues vivantes. On a trop perdu de vue qu’ici l’objet essentiel est à la fois différent de celui de l’étude du grec et du latin et de celui de l’étude de notre histoire et de notre littérature nationales. Ce sont les dernières études qui importent avant tout et qui doivent dominer le système. Quant aux langues anciennes et mortes, il est certain que, par leur étude, on se propose surtout d’exercer l’esprit, de lui fournir une gymnastique, en même temps que de maintenir les traditions d’origine de la culture française. Mais dans les langues modernes nous n’avons pas à rechercher une tradition de ce genre, ni même une gymnastique; dans l’étude des langues modernes, on réclame avant tout un objet réel et un emploi immédiat. Tant que ce but ne sera pas atteint, on aura droit de se plaindre hautement du vice des méthodes et du détriment réel apporté aux élèves.

Mais revenons au nouvel enseignement général qu’il s’agit d’instituer. Dans l’ordre d’idées que je développe, et où un enseignement purement français serait destiné aux enfans qui suivraient cette route jusqu’à l’âge de quatorze ans environ, la culture littéraire ne serait nullement abandonnée ; elle y serait moins forte,