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faut le détruire. » Jérémie est beaucoup moins préoccupé de la question sociale et du triomphe des Anavim. C’est avant tout un homme pieux et d’une moralité sévère. C’est un fanatique, il faut le dire, haineux contre ses adversaires, mettant tous ceux qui n’admettent pas d’emblée sa mission prophétique au nombre des scélérats, leur souhaitant la mort et la leur annonçant. » J’avoue que j’ai peine à retrouver dans le fond même du prophétisme de Jérémie un caractère essentiel qui le distingue du prophétisme antérieur. Sans doute prêtre il était, et l’on voit par les textes historiques qu’il a exercé une influence considérable sur la caste à laquelle il appartenait, qu’il a probablement achevé sa conversion au jéhovisme prophétique et s’est servi d’elle pour faire triompher son programme. Mais le prêtre n’est en lui que le serviteur et l’instrument du prophète : en lui, comme en Isaïe, c’est le prophète qui domine, c’est le réformateur de la vie morale, de la vie sociale, de la vie politique. La seule différence est dans le caractère personnel de l’homme, qui est unique, et dans les circonstances qui le sont aussi. Jérémie est bien le successeur naturel et légitime d’Isaïe, mais avec des âpretés de caractère, une intensité de conviction, une obstination de courage, un mépris de toutes les conventions et des préjugés les plus glorieux qui font de lui une personnalité sans pareille dans le groupe le plus personnel qui lut jamais. C’est qu’il ne paraît pas, comme Isaïe, à une heure relativement heureuse : il parait à la maie heure, à l’heure des fautes irréparables, dans la fournaise des catastrophes finales. C’est le prophète du Finis Hierosolymœ !

Jérémie avait commencé sa propagande dans son village natal d’Anathoth. Le terrain était sans doute peu favorable, ou les autorités peu endurantes : ses compatriotes le chassèrent avec des menaces de mort. Il quitta Anathoth en posant au Seigneur la question douloureuse de Job : « Tu as toujours raison, ô Jéhovah, et comment pourrais-je discuter contre toi ? Il faut pourtant que je te dise ce que j’en pense. Pourquoi la voie des méchans est-elle prospère ? Pourquoi les artisans de trahison vivent-ils en paix ? Tu les as plantés et ils ont pris racine, ils poussent et portent des fruits : et pourtant tu n’es près que de leurs lèvres, et loin de leur cœur. Et moi, Jéhovah, tu me connais ; moi, tu m’as vu, tu as éprouvé mon cœur. » Et la certitude absorbante et effrayante de sa mission l’emplit tout entier, le ferme au découragement : « Avant que je t’eusse formé dans le sein de ta mère, je te connaissais, dit l’Eternel ; avant que tu fusses sorti de ses entrailles, je t’avais consacré, je t’avais établi prophète auprès des nations. » Et je dis : u Hélas ! Seigneur Jéhovah, je ne sais point parler, je ne suis qu’un enfant. » Et Jéhovah répondit : « Ne dis pas : Je ne