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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/551

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il se trouvait déjà des prophètes qui pensaient que Jéhovah avait choisi un bien atroce justicier :


N’es-tu pas, depuis les temps antiques[1],
O Iahvé, notre Dieu, notre saint,
Qui nous préserve de la mort ?

Iahvé, tu l’as établi[2] comme justicier.
Rocher[3], tu l’as commis pour châtier.

Toi qui as les yeux trop purs pour regarder l’iniquité,
Et qui ne saurais supporter la vue du mal,
Comment peux-tu bien regarder ces perfides,
Te taire, quand le méchant dévore plus juste que lui ?

Tu as réduit les hommes à l’état des poissons
Et des reptiles de la mer, qui n’ont pas de roi.

Ce peuple les pêche avec son hameçon,
Les tire avec sa senne,
Les ramasse dans ses filets ;
Alors il est content, il saute de joie.

Le verra-t-on toujours vider son filet,
Pour recommencer à égorger les peuples sans pitié ?


Et le plan de Jéhovah et des prophètes se déroulait avec une clarté et une audace sereines : « Tant que ceux de la maison d’Israël demeuraient dans leur terre, ils la souillaient par leur conduite et leurs forfaits. Et j’ai versé sur eux ma colère, à cause du sang qu’ils avaient versé sur la terre et des idoles dont ils l’avaient souillée, et je les ai dispersés parmi les nations… Et je vous rassemblerai d’entre tous les pays et vous ramènerai dans votre patrie. Et je mettrai un nouvel esprit au dedans de vous ; j’ôterai de votre poitrine ce cœur de pierre et y mettrai un cœur de chair. Et vous demeurerez dans le pays que j’ai donné à vos pères, — vous deviendrez un peuple à moi, et je serai votre Dieu. » Quoi ! au lendemain de la défaite, de la dispersion, de l’annihilation, il y aurait place encore pour un peuple d’Israël, pour une patrie juive, pour une Jérusalem nouvelle ! Oui ! Et le prophète se voyait emporté en esprit vers une plaine couverte d’ossemens, et l’Éternel lui demandait : « Fils de mortel, ces ossemens de morts peuvent-ils revivre ? — Seigneur Jéhovah, c’est toi qui le sais. — Eh bien ! prophétise sur ces ossemens et dis-leur : Ossemens desséchés, écoutez la parole de Jéhovah. Je vais faire entrer en vous le souille pour que vous viviez : je mettrai sur vous des nerfs, la chair, la peau, et je mettrai en vous le souffle, pour que vous viviez et

  1. Habacuc, I, 12-17. Nous reproduisons la belle traduction de M. Renan (p. 295).
  2. Le peuple chaldéen.
  3. « Le mot sour, rocher, était presque devenu un nom de Dieu. »