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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/583

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et non à aucune de celles où, présentement, le travail marche nuit et jour sans interruption. Ce serait une puérile tartuferie humanitaire.

La réduction légale du travail diurne à un nombre d’heures déterminé serait une duperie beaucoup plus dangereuse : ou la journée officielle serait égale aux journées usagères les plus longues, comme c’est aujourd’hui le cas de la journée de douze heures, autorisées par la loi de 1848 ; ou la loi sera tenue pour lettre morte ; son maximum, qu’il soit de huit, neuf ou dix heures, sera dépassé par tous les ouvriers qui travaillent actuellement plus de huit, neuf ou dix heures, et dans ces deux cas, la réglementation souhaitée semble bien inutile, puisqu’elle ne « réglementationnera » lien du tout. Que si, par miracle, — car c’en serait un, — on parvenait à force de pénalités et de surveillance à rendre une pareille loi applicable, à obliger par exemple l’universalité des travailleurs, français, des deux sexes, à ne se livrer que pendant huit heures par jour à la besogne qui les occupe aujourd’hui pendant dix ou onze, la somme du travail fourni annuellement par la nation diminuerait de 20 ou 27 pour 100. On extrairait moins de charbon de la mine, on fabriquerait moins de fer à la forge, on bâtirait moins de maisons (ce qui du reste ne ferait pas baisser les loyers), on cultiverait moins de terres, on ferait circuler moins de trains sur les chemins de fer et moins d’omnibus dans les rues de Paris. La production, en prenant ce mot dans son acception la plus vaste, serait réduite dans la même proportion que le travail. Mais qu’adviendrait-il du taux des salaires et du prix de toutes les marchandises ?

Les partisans des « trois-huit » obligatoires supposent que, le nombre des ouvriers n’augmentant pas, et les besoins de la consommation restant les mêmes, ils continueront à recevoir, pour huit heures de travail, la même paie que pour dix ou onze. Cette première hypothèse ne peut aller sans une seconde, c’est que toutes les nations du globe suivront l’exemple de la France, et réduiront à qui mieux mieux, par les mêmes lois draconiennes, la durée de la journée de travail. Et cela ne suffirait pas encore : la valeur des denrées agricoles, ou les besoins de populations très denses, ou le prix de revient de certaines matières premières, n’étant pas les mêmes dans tous les pays, le raccourcissement de la journée de travail affecterait diversement chacun d’eux ; et il arriverait que tel nous offrirait ses marchandises à moindre prix que nos fabricans ne les sauraient établir, ou même voudrait importer chez nous ses ouvriers. On s’opposerait donc, par des tarifs de douane et par des droits de séjour prohibitifs, à l’entrée des