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avantageux sur les voies de fer, et demandait des tarifs analogues de pénétration et de transit qui facilitassent l’accès du continent par Le Havre. La seconde de ces adresses se plaignait de ce que le cabotage du Havre était ruiné par certains tarifs de pénétration, récemment établis, et demandait qu’on les abolît tous. « Saint parlement, saint gouvernement, prenez pitié de moi et jetez des pierres aux autres, » tel est toujours le fond de la prière des intérêts privés. Supposé qu’il soit voté sans amendement, — et Dieu sait ce qu’il en va pleuvoir, — ce projet de tarif présenté par un cabinet protectionniste, dont la plupart des membres sont des libres-échangistes honteux, a déjà pour effet d’augmenter le rendement des douanes de 400 millions par an, en admettant que tous les tarifs jouent, qu’ils n’arrêtent aucune marchandise, que les quantités importées restent les mêmes. Comme les douanes françaises ne produisent en ce moment que 375 millions, c’est plus qu’un doublement de charge pour le pays.

Et ces charges vont peser principalement sur la population ouvrière en haussant le coût de l’alimentation, de l’éclairage, des constructions modestes. En dehors des articles indiqués plus haut, les relèvemens sont insignifians ou nuls : qu’on augmente, ainsi que le porte le tarif, de 360 pour 100 le droit sur les couronnes funéraires, de 400 pour 100 celui des marbres sculptés, de 500 pour 100 celui des mouchoirs brodés, que l’on décuple (de 100 à 1,000 francs les 100 kilogrammes) la taxe à laquelle est soumise l’essence de géranium rosat, ou celle de la pistache, ou celle des orgues étrangères, si leur invasion nous menace, il n’y a rien là qui puisse nous attendrir. Mais lorsqu’on sait que, malgré tant de progrès réalisés, il existe encore tant de misères, lorsqu’on sait que l’État ne peut rien pour les soulager, qu’il lui est pratiquement impossible, avec la meilleure volonté du monde, d’augmenter d’un centime le salaire du travailleur, on se demande si ce n’est pas un véritable crime de faire enchérir la vie du pauvre pour maintenir le revenu du riche ou du moins de l’homme qui jouit d’une aisance relative, puisqu’il possède une parcelle de propriété.

On a mis en avant, pour déterminer le courant auquel s’abandonnent nos hommes politiques, pour nous faire rétrograder vers le passé, — puisqu’il s’agit ici de rendre à peu près inutile le progrès des moyens de transport d’un pays à l’autre, — on a mis en avant deux ou trois argumens, puérils au fond, mais spécieux et qui ont fait fortune. D’abord l’exemple des nations d’Europe et des États-Unis, qui, pour la plupart, dit-on, s’entourent de barrières plus hautes. Cependant ni l’un ni l’autre des deux États les plus prospères du continent, l’Angleterre et la Belgique, ne sont entrés