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ont pris mon parti, écrivait-il, ne songeaient en général qu’à prendre le leur et à combattre pour leurs idées, si tant est qu’ils en eussent, en faisant de moi une espèce de drapeau. Ils m’ont enrégimenté, bon gré, mal gré, dans la coterie romantique, ce qui signifie que j’étais responsable de leurs sottises, et ce qui a beaucoup ajouté dans l’opinion à la liste de celles que j’ai pu faire. »

Aussi, en raison même de cette confusion entre les mérites personnels du peintre et les imprudences, pour ne rien dire de plus, de ceux qui s’intitulaient ses sectateurs, l’Académie avait-elle hésité, plus qu’il n’eût été souhaitable, sans doute, à accomplir un acte de justice qui, à ses yeux, impliquait un danger. Mais, après que Delacroix eut été élu, les moins bienveillans pour lui de ses nouveaux confrères, ceux d’entre eux auxquels les intentions qu’on lui attribuait avaient inspiré le plus de défiance, reconnurent bien vite, y compris Ingres lui-même, que, loin d’avoir introduit un ennemi dans la place, on n’avait fait en réalité qu’y installer un auxiliaire et, en cas d’attaque, un défenseur. Il se trouva en effet que le prétendu révolutionnaire était ce qu’on appellerait aujourd’hui un « conservateur, » et un conservateur profondément convaincu ; que, tout en pratiquant l’art à sa manière, dans la mesure de ses facultés propres, il n’entendait pas plus en réformer les lois essentielles qu’en renier les hautes traditions. Enfin, par ses goûts et ses habitudes intellectuelles en dehors même des travaux de sa profession, par la singulière sévérité de ses doctrines en matière littéraire, par les dons naturels comme par la culture d’un esprit à la fois très judicieux et très brillant, Delacroix avait achevé non-seulement de séduire, mais de s’attacher solidement tous les membres de l’Académie : si bien que, dans certains cas délicats, c’était à lui qu’on s’adressait de préférence pour la rédaction d’un rapport officiel ou pour le compte rendu de quelque ouvrage soumis à l’examen de la compagnie. S’il eût vécu quelques mois de plus, il eût été très probablement un des champions les plus ardens et en même temps les plus accrédités de la cause académique, à ce moment, que nous rappelions tout à l’heure, où elle fut si inopinément attaquée.

Jusqu’au jour (13 novembre 1863) où parut le décret impérial qui, en bouleversant l’organisation de l’École des Beaux-Arts à Paris et celle de l’Académie de Fiance à Rome, enlevait du même coup à la quatrième classe de l’Institut la meilleure part de son influence et ses privilèges les mieux justifiés, rien n’avait pu, ni de près ni de loin, faire pressentir à l’Académie cette étrange déclaration de guerre. Bien plus, c’était un des siens qui semblait l’avoir provoquée, puisque le nom de M. le comte de Nieuwerkerke,