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UNE


OPHÉLIE TCHÉRÉMISSE


ESQUISSE DE MŒURS.




I.

Deux misérables rosses de la poste locale me traînaient dans les montagnes de l’Oural, par-delà le Volga, d’un village à un autre, dévoré par la plus vive impatience de parvenir à la grande route, dans la naïve conviction que j’y trouverais un terme à tous les maux, à toutes les incommodités de mon voyage. Ai-je besoin d’ajouter que je fus cruellement désillusionné ?

Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit pour le moment, et je n’ai nullement l’intention d’agacer les nerfs de mon lecteur par une description minutieuse de toutes les horreurs des routes vicinales.

Chez nous, dans la Russie centrale, ces chemins sont devenus un anachronisme. Mais dans ces régions lointaines, que les chemins de fer ne sillonnent pas encore en tout sens, la route postale existe toujours, avec toutes ses vicissitudes, dans toute sa poésie primitive, enivrante, dont on se souvient longtemps, non sans un frémissement mêlé d’une douce tristesse.

Ma mémoire évoque les tableaux des villages tchérémisses se suivant l’un l’autre… La pensée travaille fiévreusement… Je vois dans mon imagination les huttes noircies par le temps… De cœur, je participe à l’existence de ces pauvres gens, aux petites joies