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autorité était plus contestée, que nombre de catholiques se demandaient si, les circonstances ayant changé, il ne convenait pas de changer de méthode, de passer un accord définitif avec le jeune empereur-roi, de mettre l’arme au pied, en se ménageant ainsi des chances d’avoir part aux faveurs et d’arriver un jour au pouvoir. Si M. Windthorst avait vécu plus longtemps, peut-être eût-il essuyé quelques déconvenues. Cet homme de beaucoup d’esprit a eu celui de s’en aller à temps. Il est mort en pleine possession de sa gloire, après avoir exercé pendant vingt ans une véritable souveraineté. Bien des rois ont connu moins que lui la joie de régner.

Que deviendra le parti du centre ? C’est une question. Beaucoup d’Allemands sont disposés à croire qu’il ne tardera pas à se décomposer, que l’aile droite et l’aile gauche tireront chacune de son côté, que de part et d’autre on obéira à ses affinités naturelles, que les nobles silésiens se fondront dans le parti conservateur, que les démocrates du pays rhénan grossiront les rangs des progressistes. Il est certain que les partis purement confessionnels sont une anomalie qui ne se justifie que par des circonstances particulières. Quoi qu’il en soit, rien ne fait mieux sentir la valeur de l’homme qui vient de mourir que la difficulté qu’on trouve à lui donner un successeur. Parmi les candidats qui ont le plus de chances, on parle d’un notaire de province, d’un ancien officier de cuirassiers et d’un personnage plus considérable, qui possède la confiance de Guillaume II.

On assure que la curie romaine verrait avec plaisir le sceptre de M. Windthorst passer aux mains de M. Kopp, prince-évêque de Breslau, qui s’est acquis la réputation d’un négociateur fort délié. Ce serait une faute, et je doute qu’on la commette. Un parti conduit par un prélat n’est plus un parti, c’est une confrérie. Il est fâcheux de mêler trop ostensiblement les intérêts spirituels aux affaires temporelles, et quand l’Église intervient dans les intrigues parlementaires, elle a tout avantage à choisir un laïque pour son fondé de pouvoirs. L’idéalisme religieux a la prétention d’élever la terre jusqu’au ciel ; si religieuse qu’elle soit, la politique tend toujours à abaisser le ciel jusqu’à la terre ; deux ouvrages si différens ne doivent pas être faits par les mêmes ouvriers. J’ai lu dans un vieux livre l’histoire d’un chevalier à qui une magicienne avait enseigné la langue des oiseaux ; il aurait cru déroger en la parlant publiquement, et quand il avait des communications à faire aux geais et aux chouettes, il leur députait une chouette et un geai, avec lesquels il s’était expliqué dans le plus grand secret. L’Église entend mieux que personne la langue des passions humaines, mais elle ne doit pas la parler ; les habiles interprètes ne lui manqueront jamais.


G. VALBERT.