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lorsqu’il les obtint : seulement, il n’en acceptait ni les obligations, ni les devoirs les plus simples, et quand on l’envoyait à l’armée, il se hâtait de revenir après la première bataille, non certes qu’il reculât devant le danger, mais tout simplement parce qu’il ne trouvait pas ses aises dans une rude et longue campagne. Ce mort d’hier a toujours été un prince sans gêne, qui aimait sa liberté, ses fantaisies, et qui, par une bizarrerie de plus, se faisait une sorte de point d’honneur de se donner les allures d’un prince révolutionnaire, démocrate, et libre penseur. Était-ce un révolutionnaire, autant qu’il le disait, ou qu’il le croyait ? Il affectait de l’être par son attitude, par ses discours, par les embarras qu’il créait à l’empereur Napoléon III, par le soin qu’il mettait à s’entourer des adversaires du régime, par ses audaces de radicalisme presque démagogique. Depuis la chute de l’empire, il a même mis tout son zèle à se faire républicain : au fond, sa politique révolutionnaire s’est toujours réduite à une vaste démocratie surmontée d’un nouveau César. C’était un révolutionnaire parmi les princes et un prince parmi les révolutionnaires, qui s’est épuisé à concilier toutes les contradictions : il n’a réussi qu’à être suspect aux uns et aux autres, à trouver l’impopularité dans tous les camps. Et c’est ainsi qu’il a dépensé sa vie, inutile à lui-même et à sa cause, prodiguant pour rien des dons brillans, irrité et irritant, — pour aller finir tristement dans un hôtel garni, sans laisser d’autre héritage que le souvenir d’un prince déclassé et décevant.

Par une de ces coïncidences ou un de ces contrastes qui ne manquent pas dans l’histoire de notre temps et de tous les temps, les morts se suivent et ne se ressemblent pas. Au moment où disparaît, à Rome, un prince qui a passé sa vie à s’agiter sans gloire et sans profit, la mort enlève à Berlin un homme qui n’était ni prince ni chancelier et qui a été cependant une sorte de puissance dans son pays. Celui qu’on appelait familièrement la « petite excellence, » qui depuis vingt-cinq ans a été mêlé à tous les événemens et naguère encore prodiguait sa victorieuse activité, M. Windthorst, s’est éteint, comblé de jours, honoré dans tous les camps, entouré d’hommages, après avoir montré ce que peut un chef de parlement, même en Allemagne. C’est en effet l’originalité de M. Windthorst d’avoir été un des plus prodigieux tacticiens parlementaires, d’avoir soutenu sans faiblesse, sans violence contre la puissance alors heureuse de M. de Bismarck une lutte d’un quart de siècle, et d’avoir réussi, par le seul ascendant de sa parole, de son habileté, à relever la fortune de sa cause. Il ne devait rien à sa naissance : c’était un fils de simples paysans, né en 1812 aux environs d’Osnabruck, élevé par le travail et par l’intelligence. Ses compatriotes, au lendemain des révolutions de 1848, l’avaient fait député aux états du Hanovre, qui était alors un royaume indépendant. Ses talens l’avaient bientôt fait ministre du roi George, — ministre une