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dans le produit annuel d’une somme dont le chiffre s’élève à près de deux cent mille francs.

Quel était donc l’homme auquel l’Académie des Beaux-Arts et les jeunes artistes se trouvent redevables d’un pareil bienfait ? Quelle avait été sa situation dans le monde, quel rang y avait-il tenu ? Le plus souvent, — nous le disions tout à l’heure, — les donateurs dont l’Académie a la mission de dispenser les largesses ont été ou des artistes célèbres comme Rossini et d’autres membres de la compagnie, ou bien des amis des arts qui, par leur position sociale et par leur fortune personnelle, semblaient prédestinés au rôle qu’ils ont si noblement rempli. Il n’en était pas ainsi, tant s’en faut, de ce nouveau bienfaiteur. Dubosc, — tel est le modeste nom que perpétuera la fondation dont il s’agit, — n’avait de commun avec ses devanciers que la générosité du cœur et l’intelligence des besoins auxquels il pouvait être opportun de pourvoir. Par l’humilité même de ses origines, de ses occupations, par les conditions de toute sa vie, il forme une exception, et certes une exception touchante, dans l’ensemble de ceux qui ont associé l’Académie à leur munificence.

Quelle force de volonté, en effet, quelle persévérance extraordinaire dans l’effort, quel industrieux esprit d’économie n’a-t-il pas fallu à cet homme qui, sans autre profession que celle de modèle pour les peintres et pour les sculpteurs, sans autres ressources que son maigre salaire quotidien, est arrivé, à force de privations, d’épargnes faites sou à sou depuis l’enfance, à se mettre en mesure de doter les artistes à leurs débuts et de rendre ainsi aux successeurs de ceux qui l’avaient employé tout ce qu’il avait réussi à amasser pendant plus d’un demi-siècle ! À quoi bon d’ailleurs insister ? Quelques mots extraits du testament de ce véritable homme de cœur suffiront pour qu’on apprécie à sa valeur ce qu’il a voulu, ce qu’il a fait. « Ayant, dit-il, commencé à poser en 1804 à l’âge de sept ans et ayant continué à servir de modèle jusqu’à l’âge de soixante-deux ans, j’ai passé ma vie auprès des artistes. Je veux qu’après mon décès la petite fortune que j’ai gagnée avec eux soit consacrée à une fondation qui leur soit utile. » Son vœu a été rempli. Les jeunes peintres et les jeunes sculpteurs qui, chaque année, en profitent ont le devoir de se souvenir des obligations qu’il leur impose, et, comme les membres de l’Académie, d’associer dans leur reconnaissance le nom de Dubosc à des noms tout autrement éclatans sans nul doute, mais qui, par le rapprochement même, font d’autant mieux ressortir la signification intime et la secrète dignité de celui-là.

À toutes les donations spéciales faites à l’Académie des