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D’habitude, le propriétaire fournit directement le blé, le vin, l’huile à son paire, qui n’a plus besoin que de se procurer de la viande et des légumes pour son usage et celui de son monde. Les légumes viennent d’un petit potager que l’homme cultive lui-même ou fait entretenir, à momens perdus, par les travailleurs ou domestiques. Quant à la dépense relative à la viande, elle est couverte par une indemnité trimestrielle représentative, toujours proportionnelle au nombre de bouches à nourrir, et qu’on appelle « pitance. » Si la femme du paire, ou la maire, est suffisamment intelligente et économe, elle peut, en ménageant convenablement les ressources de l’ordinaire qu’elle est chargée de préparer, procurer à son mari un petit bénéfice supplémentaire. Au reste, le paire, mangeant toujours avec les valets, serait le premier à supporter les inconvéniens d’une table par trop frugale.

Ajoutons que la maire a droit elle-même à une allocation en blé et en huile, environ moitié moindre que celle attribuée à un homme. Elle ne touche rien en fait de pitance ; de même, elle est censée ne boire que de l’eau. En revanche, le propriétaire l’autorise presque toujours à élever à ses risques et périls des volailles, des porcs, des pigeons, ou la charge, moyennant rémunération, du soin de sa propre basse-cour. Enfin, la note trimestrielle est souvent grossie de quelques francs destinés à payer le sel de cuisine consommé à la ferme[1] ou à solder l’entretien de la vaisselle. Un dernier renseignement pratique : le pain que mange le personnel est toujours pétri sur place et cuit dans le four de l’exploitation agricole. Il est rare qu’on le fasse préparer au dehors.

Indépendante de tous les fléaux et déboires qui assaillent trop fréquemment les propriétaires, fermiers ou métayers, la situation des paires est, en somme, fort enviable. On pourrait croire que l’homme payé sur un taux fixe, quels que soient ses succès agricoles ou ses déboires, serait disposé à ne pas agir beaucoup et à s’endormir dans l’inaction. Il n’en est rien. Les paires sont ordinairement jaloux de la propriété qu’ils dirigent, souvent même plus que leurs patrons ; ils tiennent à montrer à leurs collègues et voisins des vignes bien cultivées, des bêtes bien nourries, un matériel en bon état. Ils se piquent d’amour-propre, et l’un des principaux défauts qu’on leur reproche, comme un vice inhérent à l’institution même, est de trop pousser à la dépense et de ne pas ménager les ressources dont ils disposent. Les plus travailleurs, les

  1. Quoiqu’il n’existe point de fermiers dans le Bas-Languedoc, on appelle souvent « ferme » l’ensemble des locaux où se trouvent le logement du personnel à demeure et les écuries. L’expression patoise est « mas, » elle s’emploie beaucoup dans le langage courant. A Cette et à Béziers, on se sert volontiers du terme de « ramonetage. »