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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/884

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les hommes font cuire eux-mêmes leur nourriture dans un local spécial qu’on leur abandonne. Quand arrive le mercredi, les paniers à provision sont vides ; alors ils sont ramassés par les soins du baile, qui les emporte le soir à la ville et les rapporte le jeudi matin après les avoir fait garnir à nouveau, grâce à une tournée générale effectuée dans les ménages respectifs des membres de sa bande. Ce renfort de nourriture ne s’épuise que le samedi matin, jour auquel les hommes, abrégeant la durée des pauses et des repas, tout en travaillant le nombre d’heures voulu, finissent assez tôt leur besogne pour pouvoir quitter le domaine vers deux heures et rentrer dans leur domicile, en hiver, avant le coucher du soleil. Ajoutons que les huiles, qui commandent la manœuvre sont ordinairement des enfans du pays, rompus aux travaux agricoles, et qu’ils restent souvent attachés à la même exploitation toute leur vie.

Si l’on quitte la Communauté pour se rapprocher de la mer, en marchant dans la direction du sud, on tombe sur deux autres domaines contigus et très vastes, Tamariguière et le Grand-Cogul. Le second comprend 110 hectares de vignobles occupant sensiblement le tiers de la superficie totale de la terre ; le premier, auquel déjà nous avons fait allusion, est plus restreint, pris en bloc, mais l’emporte de beaucoup sur l’autre, comme surface plantée. Tous deux sont extrêmement dignes d’intérêt, à raison de leur situation isolée, contrastant avec l’esprit ultra-industriel et novateur qui préside à leur exploitation, surtout à celle de Tamariguière.

Tamariguière occupe un personnel à demeure assez peu nombreux relativement, qui est secondé à l’époque des grands travaux agricoles par toute une nuée de travailleurs à la journée et de tâcherons. Mais ce dernier élément est très variable, de sorte que, pendant la morte saison, on n’occupe que 40 à 50 hommes là où, en été, on emploie 150 individus et davantage. Naturellement, bon nombre de ces ouvriers, ceux dont on peut utiliser les bras en tout temps, habitent le pays. Mais comment se procurer au moment voulu un pareil renfort de travailleurs, et cela dans un pays perdu et peu accessible ? Les propriétaires de Tamariguière et du Grand-Cogul ont essayé d’un expédient trop curieux pour n’être pas signalé. Ils ont eu l’idée de fonder à proximité de leurs vastes fermes une colonie ariégeoise en attirant et retenant dans le pays des familles fuxiennes. L’Ariégeois quitte volontiers ses montagnes pour se fixer dans le bas-pays, où il trouve de gros salaires assurés ; ouvrier moins adroit que le campagnard bas-languedocien, principalement en ce qui touche la vigne, il est, en revanche, plus doux, mieux discipliné, moins exigeant. Par malheur, ce plan a échoué : des hommes accoutumés à l’air vif et pur des Pyrénées