Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/892

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce qui a fait surtout le succès du jacquez, c’est la facilité avec laquelle il s’adapte à des terrains très divers, tout en s’acclimatant mal dans les sols trop humides ou trop marneux. Comme tous les cépages américains, il croît volontiers dans les terres caillouteuses et prospère à merveille dans les riches terrains de diluvium de la banlieue de Montpellier ; on peut constater, dans cette région, des cas de chlorose de jacquez, mais ils sont rares et insignifians.

La question du renouvellement des vignobles a été résolue le jour où l’on a utilisé le jacquez, mais résolue dans le sens le plus étroit, au moyen d’une sorte de cote mal taillée. Il s’agissait d’arriver à un procédé plus général, dût-il être un peu moins simple. À ce desideratum satisfait, au moins dans une certaine mesure, l’emploi du riparia, variété du vitis cordifolia, signalée déjà en 1874 à l’Académie des Sciences par M. Fabre, ancien député dii Gard. Les boutures de riparia prennent racine sans difficulté et projettent bientôt de longs rameaux grêles, garnis de feuilles en cœur, faiblement découpées sur les bords ; on voit dans la suite apparaître quelques grappes fleuries, qui rarement parviennent à maturité à cause de leur tendance à couler. Le viticulteur ne regrette pas cette perte, car le peu de vin que fournirait directement le riparia n’est pas propre à la consommation. Au contraire, la véritable utilité du riparia réside dans sa merveilleuse aptitude à servir de porte-greffe pour les vieilles variétés françaises.

Dans le courant d’avril, quelquefois en mars, rarement en mai, on procède au greffage du riparia franc de pied, opération qui transforme un maigre arbuste sans valeur en une belle souche productive. Plaçons-nous dans les circonstances les plus usuelles : depuis un an, le sol défoncé à la machine à vapeur, puis criblé de trous disposés en carré, a reçu non des boutures ou « bûches » de riparia, mais des plants racines, des « pourrettes » détachées par le fait depuis deux années de la souche mère, élevées d’abord en pépinières, puis plantées dans les trous dont il a été question. Depuis leur mise en place définitive, la saison s’est montrée favorable ; aussi la végétation des boutures enracinées, naturellement interrompue par l’épreuve de la transplantation, a repris de plus belle. Le jeune riparia, en un mot, prospère dans le coin de sol qu’il ne doit plus quitter. Arrive un premier ouvrier dont l’outil dégage le porte-greffe en creusant autour de lui une sorte de cuvette. Vient ensuite le greffeur : d’un coup de sécateur il décapite le cep à quelques centimètres au-dessus de terre. La plaie vive suinte abondamment. Alors le greffeur, armé de son couteau, fend le sarment par le milieu et, entre les lèvres de la fissure, introduit le biseau du « greffon » français, tout frais taillé, de façon à assurer le contact intime des « moelles » des deux sujets.