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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/97

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leur amour continué jusque dans la mort, isolés de tout par la mystérieuse dentelle qui les enveloppe, qui flotte autour d’eux comme un rêve.

... Très haut, comme à travers une fumée épaisse, on voit la coupole monter dans l’ombre, monter et ne pas s’achever, et ses parois semblent une vapeur, et les blocs de marbre paraissent sans consistance. Tout est aérien ici, rien de solide et de réel : c’est un monde de visions indécises. Les sous eux-mêmes n’appartiennent plus à notre terre. Une note chantée sous ces voûtes est reprise au-dessus de nos têtes dans les régions que l’on n’aperçoit point. D’abord épurée comme la voix d’un Ariel, elle faiblit, s’éteint, meurt, puis renaît tout en haut, glorifiée, spiritualisée, multipliée infiniment, répétée par une foule lointaine, par un chœur d’anges invisibles qui l’emportent et montent avec elle, s’apaise enfin, se perd en une rumeur légère qui ne passe point, qui tremble éternellement comme une âme musicienne sur la tombe de la bien-aimée.


J’ai revu le Taj à midi. Sous le soleil vertical, le fantôme mélancolique est mort, la tristesse douce du mausolée s’est évanouie. La grande table de marbre sur laquelle il se dresse est aveuglante. Répercutée de tous côtés par les immenses surfaces de pierre blanche, la lumière centuple son éclat, et certaines façades semblent des plaques brûlantes. Les incrustations sont des étincelles magiques; leurs cent fleurs rouges ont des lueurs de braises. Les textes religieux, les hiéroglyphes enchâssés de marbre noir fulgurent comme écrits par le doigt d’un Dieu farouche. Toutes les rangées mystiques de lotus et de lis épanouis en relief, qui tout à l’heure avaient la douceur de l’ivoire jauni, se détachent en flammes. — Je recule au bout du parvis, et pendant un instant, dans un éblouissement, je puis voir, coupées sur le ciel, les lignes et les surfaces incandescentes de l’édifice, implacable dans sa blancheur et sa virginité. — Certainement cette simplicité dure et la violence de cet éclat ont quelque chose de sémite : on pense aux glaives flamboyans et chastes de la Bible. Les minarets montent dans l’azur comme des colonnes de leu.

... Tout autour, la fraîcheur et l’ombre des voûtes vertes où j’erre jusqu’au crépuscule. Ce jardin est l’œuvre d’un croyant qui a voulu glorifier Allah. C’est un lieu de délices religieuses : — « Que nul ne pénètre dans le jardin de Dieu s’il n’est pur de cœur, » dit un texte arabe gravé sur le portique d’entrée. Il y a des parterres qui sont des amas de velours, des fleurs inconnues qui ressemblent à des paquets de mousses pourprées. Les troncs d’arbre montent tout bleus de volubilis et de grandes étoiles rouges