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dens et les circonstances accessoires. » Ainsi l’épopée n’est plus qu’un prétexte à lieux-communs descriptifs. Les meilleurs ouvrages du genre, ceux qui, sous la froideur d’une forme conventionnelle, conservent le plus de traces d’un vrai talent poétique, quelque grâce d’imagination, quelque sincérité de sentiment, les meilleurs sont fidèlement jetés dans le moule tyrannique.

Le drame, dans l’Inde, est proche parent de l’épopée savante ; il en est le contemporain, et l’histoire des deux genres s’ouvre également par le plus grand nom de la littérature classique, par le nom de Kâlidâsa.

C’est entre Kâlidâsa et Bhavabhoûti que s’étend la période la plus brillante de la littérature dramatique de l’Inde. On inclinait à faire remonter plus haut une œuvre importante et curieuse, le Chariot de terre cuite. M. Lévi a fait justice de ce préjugé ; il en a relégué l’auteur prétendu, le roi Çoûdraka, dans le domaine de la légende : aucune raison n’assigne à son chef-d’œuvre supposé une date antérieure à Kâlidâsa.

Malheureusement, la date même de Kâlidâsa reste mal déterminée. Depuis que l’on s’occupe de la littérature indienne, les hypothèses extrêmes ont varié, sur ce point, d’une dizaine de siècles. Nous sommes un peu plus avancés aujourd’hui ; une inscription, des citations datées ne permettent pas de ramener Kâlidâsa plus bas que le VIe siècle. C’est cette époque même que lui assigne M. Lévi. Mais, d’après une remarque toute récente et fort plausible, quelques vers du poète seraient imités dans une inscription de l’an 473. Nous aurions à reculer d’une centaine d’années ; le Ve siècle serait, pour Kâlidâsa, la date la plus basse. Plusieurs raisons ne semblent pas, jusqu’à nouvel ordre, permettre de le remonter beaucoup plus haut. La conclusion est assez vague. Il est prudent de nous y tenir.

En revanche, le VIIe siècle est marqué avec certitude par deux noms : la première moitié, par celui du roi Harsha de Canodje, auteur réel ou parrain de plusieurs ouvrages ; la seconde, parle nom de Bhavabhoûti. Ces modèles devinrent vite classiques ; ils ont suscité de nombreux émules dont la série s’est prolongée jusque de notre temps. Tous ne sont pas méprisables, aucun ne s’est montré créateur ; leurs essais n’ont rien d’essentiel à nous apprendre. Contentons-nous de savoir que c’est entre le Ve et le VIIIe siècle que se placent les œuvres les plus caractéristiques et les plus fortes, les plus anciennes aussi, qui soient parvenues jusqu’à nous. Même pour cette période, nous ne pouvons avoir la prétention de reconstituer une véritable histoire. Un pareil théâtre n’en a guère. Enfermés dans des formes consacrées, sans liberté et sans