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rait eu sa grande floraison qu’au VIe siècle. Elle n’aurait guère commencé qu’au IVe. Pendant les quatre siècles précédens toute culture aurait été suspendue par l’invasion touranienne qui, après avoir, au Ier siècle avant notre ère, supplanté les derniers restes de la domination hellénique, établit son pouvoir dans le nord-ouest de l’Inde.

La thèse s’appuyait surtout sur la date supposée de Vikramâditya, le patron légendaire de la littérature et le créateur ou le parrain d’une ère qui commence en 57 avant Jésus-Christ. Il aurait, d’après une conjecture de Fergusson, vécu au VIe siècle. Des découvertes épigraphiques ont prouvé que c’est là une erreur, que l’ère à laquelle son nom est resté attaché était en usage au moins un siècle plus tôt. D’autre part, les conquérans scythiques, loin d’avoir interrompu la culture hindoue, paraissent avoir été, indirectement peut-être, les promoteurs d’une activité nouvelle. La théorie est donc fort ébranlée. Plus solide, elle ne ferait encore que reculer le problème.

Il se présente, ne l’oublions pas, dans des conditions très particulières. Toute l’histoire intellectuelle de l’Inde est dominée par l’héritage védique. L’Inde possédait la tradition d’une littérature religieuse révérée. La classe privilégiée qui en était dépositaire était passionnément préoccupée d’en assurer la perpétuité par un enseignement minutieux. Aussi haut que nous pouvons remonter, des écoles très actives s’appliquent à la transmission et à l’étude des textes sacrés. Le génie naturellement délié des Hindous s’y assouplit à l’observation méticuleuse, aux classifications méthodiques. En en prenant l’habitude, il prit le goût de légiférer. Dans les sujets religieux, enseignemens et manuels empruntaient à leur matière même quelque chose de son autorité. Il prêta en tout genre à l’activité didactique un prix infini. Appliqué à la littérature profane, il y porta les aptitudes contractées dans le long commerce de la littérature sacrée. Il devait se montrer aussi empressé que subtil à édifier un enseignement théorique, dès qu’un nouveau champ s’ouvrait à lui. Dans ses préceptes la caste lettrée s’inspira de l’esprit autoritaire naturel à une classe dont le privilège littéraire se doublait du prestige sacerdotal. La docilité était assurée par un long exercice, prompte à accepter toute règle scolastique, à la considérer sous un jour religieux, à lui reconnaître des origines surhumaines.

Nulle part l’éclosion des œuvres et l’élaboration de la théorie n’ont, autant qu’ici, pu être étroitement rapprochées. Mais encore, les œuvres ont-elles précédé ; comment ont-elles si complètement péri ?

J’en vois deux raisons.

À aucun moment un peuple ne se passe tout à fait de littérature :