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nace pour leur privilège, un attentat sur les textes sacrés ; car elle risquait de compromettre la tradition fidèle des détails infinis de la récitation et de l’intonation ; elle dépouillait le verbe sacré de sa nature propre et le prostituait à toutes les mains. La force des choses finit par être plus forte que leurs scrupules. Leur résistance, qui devait rester si longtemps inébranlable sur le terrain védique, ne manqua pas de s’étendre d’abord même aux textes profanes.

Les brâhmanas forment la couche la plus ancienne, longtemps orale, de la prose antérieure à l’époque classique. L’Itihâsa, le Pourâna, auxquels ils font des allusions fréquentes, ne sont autre chose que les versions premières, encore orales, de ce Mahâbhârata, de ces Pourânas dont nos rédactions sont infiniment plus modernes. C’est ainsi qu’il en va dans l’Inde ; la tradition orale, la composition orale est partout à la base. Il est très possible que, dans les commencemens de la littérature classique, les œuvres de tout ordre, les œuvres du théâtre comme les autres, aient été simplement confiées à la mémoire.

Les ouvrages didactiques, perpétués par l’enseignement, étaient les moins exposés à disparaître dans le naufrage d’une tradition orale. Ils avaient aussi plus de chances que d’autres d’être des premiers à bénéficier de l’écriture quand l’usage en grandit. La littérature nouvelle devait se hâter aux constructions théoriques. Les manuels didactiques étaient sa charte même. Elle dut être plus pressée d’éterniser ces règles que de sauvegarder des ouvrages que ses recettes infaillibles lui permettaient de multiplier à l’infini.

En somme, le théâtre qui, par une étrange anomalie, nous apparaissait sans précurseurs, a dû être précédé, d’abord par des essais conçus dans les idiomes populaires, puis par des ouvrages d’une forme définitive sur lesquels la théorie s’est empressée de se régler. L’imperfection de la langue ou l’usage restreint de l’écriture les ont pu condamner à l’oubli. Ils n’en ont pas moins préparé les créations plus heureuses qui ont survécu. La lacune s’explique et le paradoxe s’évanouit.

Je ne puis, hélas ! prétendre fournir des dates précises. Je voudrais au moins fixer les idées en marquant des limites extrêmes.

À partir du IIIe siècle avant notre ère, la propagation de l’écriture coïncida avec la diffusion du bouddhisme et avec une certaine action de l’Occident, pour imprimer aux esprits une activité et une direction nouvelles. C’est, à mon avis, le terme le plus reculé d’où se puisse dater l’aurore de la littérature classique. D’autre part, pour que les pièces de théâtre pussent recevoir l’aspect que nous leur connaissons, pour que la théorie pût imposer aux poètes le cadre où ils sont demeurés enfermés, il fallait que les instrumens