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sont nés après le bannissement de Sîtâ : dans une pièce intercalaire représentée devant Râma, il met en scène la suite des événemens dont il s’agit de lui donner connaissance ; Kuça et Lava y jouent au naturel leur propre personnage. C’est une idée surprenante d’avoir inventé à la profession dramatique un parrainage si illustre. Je ne prétends pas démêler comment la chose s’est faite. On peut penser qu’elle garde la trace d’une vieille parenté entre l’épopée râmaïque et les représentations théâtrales.

Que de difficultés pourtant ! L’acteur, le nata, tire son nom le plus ordinaire d’un verbe qui signifie « danser. » Dans le Mahâbhâshya, ce grand commentaire grammatical dont il était question tout à l’heure, il n’apparaît encore que dansant ou chantant ; le nata d’alors n’était assurément pas le rapsode. Nous ignorons, nous n’avons en tout cas aucun moyen de démontrer, si les drames les plus anciens ont été une mise en scène des récits épiques. Autant que nous en pouvons juger par ce qui nous est parvenu, c’est plutôt à partir de Bhavabhoûti que les drames épiques se seraient multipliés, en descendant vers l’époque moderne. Il n’est pas si aisé de suivre l’évolution entre un drame épique et des comédies comme le Chariot de terre cuite, empruntées à la vie réelle. Les intermédiaires font défaut. Aucune forme n’est plus caractéristique pour le théâtre indien ni plus usitée que la comédie de harem royal, la nâtikâ ; la donnée n’en est nullement épique. L’émotion qui, à tout prendre, règne dans le théâtre indien, c’est l’amour ; les intrigues amoureuses y dominent largement. Ceci non plus n’est pas très épique. C’est seulement sur le terrain commun du conte que se fait la fusion de tous ces élémens. L’épopée est une mine admirable de récits et de tableaux, dramatiques ; les poètes y puisent comme ils puisent dans les recueils de contes ; elle n’apparaît pas comme la génératrice nécessaire, non pas même comme la source maîtresse du drame.

En somme, nous entrevoyons bien dans le passé des usages qui forment un premier embryon de création dramatique ; un drame a pu, aurait pu en sortir ; un drame en est certainement sorti, si l’on consent à donner ce nom aux pantomimes qui sont l’accompagnement de certaines solennités ou à des manières de cantates comme le Gîtagovinda. Quant à décider si le drame classique en est effectivement issu, quant à montrer par quelles étapes l’évolution aurait passé, il faut avouer que l’on y échoue. Cette impuissance se peut expliquer par les lacunes de la tradition. Elle peut aussi avoir une autre cause.

Notre moyen âge avait créé de toutes pièces, dans ses mystères, un art dramatique original. Notre théâtre classique a été le successeur immédiat de ce passé ; et cependant il ne lui doit rien. Il a