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simplicité. Les juges sont en redingote, à l’exception du procureur. Ils siègent de plain-pied devant une chaire basse ; l’accusé se tient à côté d’eux, enfermé dans une espèce de boîte. Au fond de la petite salle, auditeurs et témoins se tassent sur un banc. Cela ressemble davantage à un examen du baccalauréat qu’à une séance de justice : et pour achever la ressemblance, on m’affirme que ce public de jeunes gens timides et silencieux qui suivent avec tant d’attention, crayon en main, les demandes et les réponses, ce sont, la plupart, des élèves ou aspirans, désireux d’étudier, avant de les mettre eux-mêmes en pratique, les dernières innovations de l’escroquerie berlinoise.

La majorité des prévenus invoquent l’excuse de l’ivresse. Il y a, en effet, plus de dix mille ivrognes à Berlin, et on a calculé que, parmi les détenus de la prison de Plotzensee, la moitié avaient agi sous l’empire de l’alcool. Cela n’empêche pas, d’ailleurs, que l’escroquerie ne soit le délit dominant. Sur 4,091 personnes condamnées à la prison en 1884 (3,318 hommes, 755 femmes, 18 enfans), 2,270 avaient été condamnées pour vol, et près de 500 pour des délits similaires.

La même année, sur 9,421 femmes qui ont été arrêtées à Berlin, 8,707 l’ont été pour prostitution. Les statistiques, d’ailleurs, sont mieux capables que tout raisonnement de faire voir avec quelle rapidité s’accroît la prostitution, dans cette ville où chacun ne songe qu’à s’amuser par les moyens les plus expéditifs et à dépenser hors de chez lui un argent trop vite gagné. Dans la seule année 1881, de janvier à décembre, le nombre des filles inscrites à la police s’est augmenté de 1,689, et il en va de même tous les ans. Dans les années où la population de Berlin s’accroissait de 20 pour 100, la prostitution s’accroissait de 60 pour 100.

Encore, les statistiques ne parlent-elles que des filles inscrites à la police, et il est clair que ces filles forment la minorité dans l’ensemble de la prostitution berlinoise. Je ne crois pas que Berlin soit dès aujourd’hui la capitale de la prostitution, mais je ne doute pas qu’il le devienne bientôt, au train dont vont les choses : car depuis vingt ans, les filles y accourent de tous les coins du monde, comme si elles pressentaient l’importance de leur rôle social dans une ville où n’existent ni le besoin du chez-soi, ni le goût de la vie de famille.

Ce n’est pas cependant qu’elles y soient plus heureuses qu’ailleurs, ni que leur existence y rencontre jamais des instans bien agréables. Si chacun les fréquente, il n’y a en revanche personne qui ne les méprise ou qui néglige une occasion de leur témoigner son mépris. Elles-mêmes, d’ailleurs, ne paraissent guère s’estimer