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public est satisfait, les mécontentemens s’apaisent, les rancunes s’atténuent, le gouvernement a moins d’ennemis, ses ennemis perdent leur meilleure arme, et, du même coup, il acquiert une arme excellente, le droit de nommer les évêques et d’agréer les curés. En vertu du Concordat et par l’ordre du pape, non-seulement les anciennes autorités spirituelles finissent toutes en 1801, mais encore, avec l’assentiment du pape, les titulaires nouveaux, à partir de 1801, tous choisis ou acceptés, tous maniés, disciplinés[1] et payés par le Premier Consul, sont, de fait, ses créatures et vont être ses fonctionnaires.


IV

Par-delà ce service positif et actuel qu’il tire du souverain pontife, il en attend d’autres, plus grands, indéfinis, d’abord son sacre futur à Notre-Dame : déjà, pendant les négociations du Concordat, La Fayette[2] lui disait avec un sourire : « Vous avez envie de vous faire casser la petite fiole sur la tête ; » et le Premier Consul ne disait pas non ; au contraire, il répondait, et probablement lui aussi avec un sourire : « Nous verrons, nous verrons. » Aussi bien, ses pensées s’élançaient plus loin, plus haut que l’établissement d’une monarchie ordinaire, au-delà de ce qu’un homme de l’ancien régime pouvait imaginer ou deviner, jusqu’à l’établissement d’un empire européen, jusqu’à la reconstruction de l’empire d’Occident tel qu’il l’était en 800 : « Je n’ai pas succédé à Louis XIV, dira-t-il bientôt[3], mais à Charlemagne… Je suis Charlemagne, parce que, comme Charlemagne, je réunis la couronne de France à celle des Lombards et que mon empire confine à l’Orient. » Dans cette conception que l’histoire lointaine fournit à son ambition illimitée, le terrible antiquaire trouve le cadre gigantesque et commode, les mots puissans et spécieux et toutes les raisons verbales dont il a besoin. Sous Napoléon, successeur de Charlemagne, le pape ne peut être qu’un vassal : « Votre Sainteté est souveraine de Rome,

  1. Thibaudeau, p. 154. « Ne vaut-il pas mieux organiser le culte et discipliner les prêtres que de laisser les choses aller comme elles vont ? »
  2. La Fayette, Mémoires, II, 200. (Mes rapports avec le Premier Consul.)
  3. (D’Haussonville, l’Église romaine et le Premier empire, II, 78 et 101.) Lettres de Napoléon au cardinal Fesch, 7 janvier 1806, au saint-père, 22 février 1806, et au cardinal Fesch, même date. — « Votre Sainteté aura pour moi dans le temporel les mêmes égards que je lui porte dans le spirituel… Tous mes ennemis doivent être les siens. » — « Dites bien (aux gens de Rome) que je suis Charlemagne, l’épée de l’église, leur empereur, que je dois être traité de même, qu’ils ne doivent pas savoir s’il y a un empire de Russie… Si le pape n’adhère pas à mes intentions, je le réduirai à la condition qu’il était avant Charlemagne. »