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engendre. Il ne s’agit pas seulement ici d’une génération spirituelle ; ce n’est pas uniquement par la loi, par l’idée, que la Thora et la Guémara ont enfanté le juif ; c’est d’une manière matérielle et pour ainsi dire charnelle, par les pratiques et les observances de toute sorte. Il y a là une influence séculaire, dont on ne tient pas assez compte. Le judaïsme n’est pas, comme le christianisme, une religion presque toute spirituelle où, selon la parole dite au puits de Jacob, les vrais adorateurs adorent en esprit et on vérité. Le judaïsme talmudique est, à plus d’un égard, un ensemble de pratiques corporelles : c’est une religion du corps, autant que de l’âme. C’est là, comme il vous plaira, son infériorité ou sa supériorité. La loi s’occupe de la chair, non moins que de l’esprit ; la loi a contribué à les former tous deux l’un par l’autre. En ce sens, le juif est une œuvre de la chair en même temps qu’une œuvre de l’esprit. En ce sens surtout, le principal facteur du juif et de la race juive a été le judaïsme. Jamais peut-être l’homme n’avait été, à ce point, pétri par sa croyance. La Thora, avant la Mischna, avait fait des règles de l’hygiène des commandemens de Dieu. L’Islam n’a fait que l’imiter, mais en restant bien en-deçà. Rien de plus étranger, pour ne pas dire de plus contraire au judaïsme, — au moins depuis les antiques Esséniens, — que le mépris témoigné au corps par certains de nos ascètes. La loi a un constant souci du corps ; que ce soit, ou non, pour le corps en soi, peu importe ; le résultat est le même. Aussi comprend-on que, parmi les saint-simoniens qui prêchaient la réhabilitation de la chair, il y ait eu de nombreux israélites.

La grande préoccupation du juif, durant vingt-cinq ou trente siècles, a été d’être pur, ce qui s’entend non moins de la pureté légale, de la netteté corporelle que de la pureté de l’âme. Ce souci le poursuit de la naissance à la mort, de la circoncision par le couteau de pierre au lavage du cadavre sur la table funéraire ; il l’accompagne partout, dans sa nourriture, dans ses vêtemens, dans le lit de sa femme. La pureté légale est, chez lui, une obsession ; le juif talmudiste en est comme hypnotisé. La loi et les docteurs ont tout prévu, tout réglé, jusqu’aux actes les plus secrets de la vie individuelle ou conjugale. Ce code minutieux, le petit juif l’étudiait, dès le jeune âge, dans le héder ou le talmudtora. On a calculé que l’israélite orthodoxe était astreint à 613 lois ou commandemens, dont 248 positifs et 365 négatifs. La plupart regardent la purification du corps, des vêtemens, des alimens. Un juif, disait Salomon Maimon, le cynique rabbin philosophe, ne peut boire, manger, se coucher, se laver, satisfaire les besoins de la nature, sans observer d’innombrables lois. Le juif pieux vit dans une perpétuelle terreur de se contaminer. Pour que, à ses yeux,